Extrait :
Ce jour-là, des trombes allaient s'abattre sur la capitale et, de fil en aiguille, nous conduire à ce café que Jamal allait bientôt nommer notre " Troquet secret ".
Le déluge avait quasiment attendu la fin de la manif avant de se déchaîner. La veille, Foskifo et Beur de Cacao (alias, respectivement, Ould Hennia et Ben Salam) nous avaient conviés à les rejoindre tôt le lendemain à un angle de la place de la Bastille afin de les aider au service d'ordre : l'ennemi pouvait se glisser dans nos rangs et éveiller la frénésie des casseurs - extrémité à éviter à tout prix, car il fallait persuader les caméras que nous ne nous battions pas pour le plaisir, mais pour prouver le sérieux de notre cause : " Le FN, à genoux ! avait décidé Foskifo. Les casseurs, à plat ventre !… "
La manif avait déroulé sur plusieurs kilomètres son écume chatoyante. Le populo se répartissait par vagues : là, un tronçon de front graves, parfois le faciès prudent des leaders politiques en période électorale, plus loin une lourde démarche de pachyderme -- des syndicalistes prêts, le cas échéant, à en venir aux mains. Plus loin encore, des banlieusards qui se déhanchaient au son de la darbouka, mobilisant chez d'autres jeunes, certains recrutés parmi les "visages pâles ", les esprits coincés au sein des chairs frustrées qui, d'habitude, attendent la fièvre du week-end pour secouer leurs chaînes. (...)