Textes et critiques

 

1

trames d’un drame
ne tenant qu’à un fil

Poème à partir des toiles de Françoise Ducret

lenteur Le fil passe d’un espace
à l’autre avec la volupté d’une
eau creusant en elle-même son
envie d’aller à la mer et aux fils
Ainsi attachée à la chaîne des dou
leurs sans avoir à tisser les boucles des
mots et des lèvres je bats le tableau
d’un pinceau décidé à saisir enfin la

trame Drame à plusieurs acteurs
allant et venant d’une douceur à une
transition l’autre versant du moi-même
revers de la médaille face cachée d’une
langue jamais proférée à moins de
tirer sur la jupe du désir Demandez-moi
de parler de tout sauf de la nature de la

percussion En mon sang dans ma brosse
ça tape et frappe et clappe afin que la danse
léchante du sol s’en vienne habiter les croi
sements d’un destin et d’une grille Insistant
inutile mon geste convoque les lignes et les
angles auxquels se heurter se perdre et
retrouver les yeux puérils et aveuglés du

labyrinthe Mettre de l’ordre dans ce chaos
sans bosses ni fossés toujours espacer les
vertiges de la matière en lui retirant une
chair puis l’autre jusqu’à ce que la grise
peau du cadre devienne la cendre vivante
d’un rêve tendu à ses quatre bords perdus

géométrie d’un impossible pari toujours remis
sur le métier du vivre et du mourir à mesure
que la chaîne s’épaissit aux poignets du doute
aux livrées des forêts environnées de peur
aux cadres rompus à toutes nos tensions

je ne saurais toujours me tenir ainsi au mitant
du monde du vouloir et du surseoir La toile
finira par tatouer les rêves et les rives à partir
desquels on s’engage dans l’eau du finir

et si cela était tutoyer au moins d’un regard
et à jamais cette forme décidée à passer la main
à d’autres aux doigts gourds et vifs argentés

se tenir là plantée dans rancœur même et rage d’être
jusqu’à ce que la vie (du tableau) ne tienne plus qu’à un

Pierre Olivieri, Phnom Penh, juin 1999

Pierre Olivieri a déjà publié un long poème, son chant empoisonné de la mer du milieu et aussi la Messe noire d’Elsa et Poésie en résistance, une petite anthologie de la fraternité agissante. Et d’autres ouvrages, romans et essais aux éditions de La Table Ronde, de La plus haute tour, Amaurote, Olivier Orban et Albin Michel.

 

2

"Tisser la peinture"

En appliquant une couche de couleur avec des bâtons de pastel gras,en la raclant pour pouvoir en ajouter une nouvelle, puis en superposant une autre couche de couleur qui vibrera d’autant plus qu’elle est supportée par la mémoire de la précédente, Françoise Ducret travaille avec le temps.

Une longue préparation faite sur des supports afin de les rendre aptes à recevoir la matière colorée, elle-même encore travaillée par une infinité de gestes répétés, est nécessaire à l’émergence de la texture. Nos regards ne voient pas ce lent travail d’approche qui pourtant porte en lui toute la philosophie du temps d’une artiste qui a toujours préféré créer les matériaux de ses œuvres.

Pour les premiers tissages qu’elle réalisait sur un métier de haute lice, Françoise, remodelait les fils de laine, de coton ou de soie déjà travaillés afin de donner du volume aux lignes dessinées. Puis elle a fabriqué ses propres trames en un processus complexe de papiers encrés et plastifiés. Il ne s’agissait pas de perpétuer une technique ancienne, mais de mettre en œuvre des matériaux qui sont exactement ceux qui conviennent au projet plastique particulier. Ainsi, la singularité de la tapisserie est ancrée dans toutes les pratiques qui suivront ses premières réalisations.

Le temps du tissage impose les heures dans la contrainte et l’apaisement. Il construit un monde où le temps passé ne compte plus comme une perte, mais comme une richesse accumulée, au fil des jours employés. Dans ce monde, on ne sait ce qu’est un objet éphémère, on fabrique et travaille la matière pour la sortir de sa gangue inerte et la mettre au service d’une pensée de la forme.
Depuis plusieurs années Françoise « peint » avec le pastel gras sur toile, mais aussi sur bois ou sur carton. Dans ses œuvres, les couleurs vibrent et s’enfoncent, ressurgissent à la surface, accrochent notre présent et se déploient dans notre mémoire. L’image palpite et devient insaisissable comme le temps ainsi présenté plus que représenté.

Même s’il nous apparaît individuellement entrecoupé d’instants et de moments morts, le temps se poursuit sans rupture. Il nous est commun, traverse des époques, et les entrecroisements de matières réalisées par Françoise Ducret mettent en images nos histoires personnelles et collectives.

Nadia Prete, Paris, Mars 2006
Nadia Prete a été rédactrice en chef de la revue Textile/Art. Elle enseigne actuellement les arts plastiques en Université.

 

3

« Papier Matière »

Le travail de Françoise Ducret s’inscrit dans le sillage ouvert par les recherches que le mouvement Support-Surface a menées dans les années 1970 sur l’acte de peindre, les relations entre les formes et la matière, le support, châssis, toile. S’il fallait chercher plus loin encore on pourrait appeler Matisse et ses papiers découpés. Car si le tissage est le mode d’exécution retenu par l’artiste pour mettre en forme et en mouvement tant la couleur que la matière, celui-ci est mis en œuvre, pour obtenir ces pièces en volume, à partir de grandes feuilles de papier peintes et plastifiées, découpées en rubans qui seront tissés sur le métier, parfois simplement modelés.

Ensuite, placées dans leurs encadrements noirs et pesants, les œuvres seront libres. Elles pourront frémir au courant de l’air, être effleurées ou touchées par toutes les mains. Ici la mise en cause du tableau en tant que surface est délibérée et effective. Les dispositifs « Papier matière » dénient leur immobilité trompeuse, leur fragilité apparente. Ils ne cherchent pas non plus la gloire des constructions extrêmes mais aspirent à la légèreté, à la possession d’un espace à leur mesure

Catherine Plassart, 10 Juin 2008
Art Point France Info, web magazine

4

Ces « tableaux-pastels » constituent une écriture/peinture. Ils sont l’expression conductrice de ma démarche créative.
Issues des grattages de la matière pastellisée, des facettes colorées morcellent la surface de la toile. Elles existent les unes par rapport aux autres et organisent un réseau de continuité qui s’ordonne entre intervalles et motifs. Rythme, répétition, organisation, évoquent une texture semblable à celle du tissu.

A travers ces pastels à l’huile, je m’interroge sur le rôle du tissu, sur son « langage » et ses techniques. J’analyse ainsi les dialogues opératoires qui existent entre le tissu et ma création picturale dans les arts plastiques.

Françoise Ducret

 

5

 

Poème pour Françoise Ducret

TRACE

Travail de matières, comme langage.
Le trait, la lettre, succession de la forme utile à la formation de la phrase.
L'espace entre, comme ponctuation absente, facilite la non entrave.
Ouverture à l'intérieur même de l'enfermement.
Couches successives, presque organique de la substance laiteuse.
Répétition de l'acte, encore et encore, dans une mécanique du geste, pour retrouver l'expérience même de la mémoire.
Volonté du recommencement.
Mémoire commune, mémoire de l'avant.
Remplissage du vide par le souvenir accumulé des origines.
Exploration de l'abîme.
Retrouver l'essentiel, parmi le recouvrement volontaire de la surface.
Expérience intime du retournement.
Dépouillement de l'acte par frottement presque chirurgical.
Exploration interne nécessaire
Et là

L'ultime Trace apparaîtra.


Isabelle Provendier est comédienne. Elle travaille avec Thierry Alcaraz (la compagnie des Ouvriers) et avec jean- François Matignon (la compagnie Fraction) à Avignon. Elle est aussi la collaboratrice artistique de Thierry Alcaraz.



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