Ce qui frappe d'entrée dans les œuvres de Luc Millet, c'est d'abord leur format : le carré, et puis cette zone blanche : « le territoire d'approche ». Sorte de marge de sécurité avant de pénétrer plus avant dans l'œuvre, ce no man's land exige le dépouillement du regardant.
Où commence donc la peinture ?Pour Luc Millet, il ne serait en tous les cas question qu'elle se termine au bord. S'agissant d'une répulsion quasi-physique, Luc Millet doit pour faire œuvre supprimer l'une des contingences matérielles de celle-ci : son format.
Il nous faut être donc très attentif à cet autre territoire sensible : la lisière de la peinture. Elle est comme une ligne fictive entre le ciel et l'eau.
Naissance de la peinture : elle révèle les premiers gestes. Les premières impulsions, les premiers jets.
Miraculeusement sauvegardée des autres vagues de travail, menacée d'être recouverte par la blancheur du territoire d'approche, il nous apparaît guère étonnant que Luc Millet dans son atelier, nous montrant ses toiles non encore marouflées, nous parle avec émotion de ces premières traces, de ces empreintes de doigt, au bord, à la lisière.
Sortant des limbes, la peinture peut alors apparaître.
Souvent au départ, il a la volonté d'imprimer une marque, un signe qui par un long travail d'enfouissement, de passage, de vagues successives de fond, va disparaître pour de nouveau réapparaître par grattage, essuyage, frottage. La peinture de Luc Millet est une longue déposition de minces strates ou plus exactement, une incessante activité de flux et reflux, chaque mouvement de marée, laissant sur l'estran du papier, ces signes et traces indélébiles.
C'est un long travail d'immersion pour faire remonter à la surface la pêche miraculeuse car apparaît ici un signe reconnaissable entre tous : le poisson.
Mais ce signe n'est pas de l'ordre du symbolique, il n'y a pas de référence extra picturale. Il agit et fonctionne non pas comme une image narrative, ni même comme une écriture plus ou moins spontanée.
Ce signe renvoie à la peinture. Point
Tout se passe comme si Luc Millet n'avait rien à ajouter, tout étant déjà là, dans la richesse de la profondeur de la peinture. L'humilité de Luc Millet est de toujours se situer en retrait, de se méfier des profusions d'informations, pour restituer ce qui est pour lui l'essence de la peinture.
Il, devient ainsi évident que Luc Millet ne puisse concevoir son acte de peintre que comme une opération de soustraction.
Cette «paternité inexpliquée » lui échappe. Comment un peintre aujourd'hui parviendrait-il à créer un systèmes de signes à même de représenter des idées qui ne soit pas une écriture, et sans recourir à l'image narrative ?
Le long travail des fonds, la volonté d'imprimer d'une marque, un signe, l'enfouissement, la remontée par grattage, l'apparition de signe à nouveau, la volonté de ne plus avoir de volonté, se soustraire, tout cela est de l'ordre de l'Épiphanie.
Les toiles de Luc Millet sont des Épiphanies. En cela, même s'il s'agit d'un truisme, elles célèbrent l'énigme de la visibilité : la Peinture.
« L'éternité ?
c'est la mer alliée
Avec le soleil "
Arthur Rimbaud
Bernard Briantais
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