Textes

 

Ange déchu 54 x 65 cm

 

 

L'Un et l'autre

Anne-Marie Cutolo et Fabien Claude exposent régulièrement ensemble. Leur sujet  commun  est la souffrance. Ils ne la tiennent pas à distance car elle est pour l'un  et l'autre un savoir. Savoir du corps massacré qui se fait langage pictural chez Cutolo.  Ressort de la connaissance chez Claude qui à l'inverse de sa compagne ignore la chair, dissout les corps, dit l'effroi par la pudeur. La douleur  explosive  de Cutolo s'oppose à celle  intérieure et implosive de Claude.

Chez Cutolo, les corps nus sont écorchés, les chairs  déchirées. La blessure est intime. La détresse à fleur de peau, physique et brutale.  Au paroxysme de la douleur, le sang circule, les nerfs et les tissus palpitent. Obscénité des ventres qui livrent leurs entrailles, des membres  mutilés.  Abandon au tourment, violence du désespoir . Mais aussi tendresse et compassion. Vertige libérateur enfin, comme au bord d'un ravin qui s'ouvre à  la vie secrète,  bouillonnante et désordonnée.


« L'action décisive est la mise à nu. La nudité s'oppose à l'état fermé, c'est-à-dire à l'état d'existence discontinue. C'est un état de communication, qui révèle la quête d'une continuité possible de l'être au-delà du repli sur soi. Les corps s'ouvrent à la continuité par ces conduits secrets qui nous donnent le sentiment de l'obscénité. » (1) Georges Bataille.


Chez Claude, les personnages raides, dressés, sont des êtres vêtus de manteaux massifs, ronds, et creux qui dissimulent bras et mains et la quasi totalité d'un corps squelettique, décharné. Sur fond uniformément noir, le peintre met en scène la mort personnifiée ou plutôt son serviteur.  L'austère verticalité de ce messager funeste traduit un refus du deuil et rend tragique, l'inattendu de  la mort. Une certaine forme d'esthétisme dans cette peinture, ajoute un sentiment de lassitude, une acceptation du désespoir.


« Pour nous qui sommes des êtres discontinus, la mort a le sens de la continuité de l'être ». (2) G. Bataille.

Un peintre m'expliquait un jour qu'il n'y a que deux façons de construire un tableau. Qu'il soit  abstrait ou figuratif, peu importe. Soit on organise les masses et les figures selon les axes horizontaux et verticaux ,  soit on utilise les obliques et les diagonales associées au cercle. Verticales et horizontales  dessinent un repère orthonormé, évoque une circulation immuable dans les sens terre, ciel et Est, Ouest. Le cercle  lui, n'est jamais parfait, il évolue vers la spirale, suggère un vide, une aspiration.  Cutolo, peint de cette manière utilisant les obliques et leurs infinies combinatoires. Ses sujets sans assises, à la limite du déséquilibre, basculent parfois, noyés dans la couleur. Claude  à l'inverse, construit toujours ses tableaux  selon l'autre façon à ceci près qu'il  n'exploite aucune ligne horizontale dans sa composition. Son  personnage occupe la toile selon un axe  vertical  exclusif à peine décentré. Il n'y a donc ni horizon, ni perpendiculaire.  L'espace ainsi créé est retourné, mis " hors du temps". En l'absence de lignes séquentes, l'impossibilité de la  croix suggère un sortilège,  l'absence de consolation. 


  La peinture d'Anne-Marie Cutolo et celle de Fabien Claude explorent un même territoire, celui de la douleur, mais parce que leurs rapports respectifs au corps sont différents,  leurs langages plastiques et leurs propos sont distincts. Cutolo et Claude ont toutefois également en commun une dynamique qui brise les cocons, emporte la barque et ainsi libère celui qui crée comme celui qui regarde, de la pesanteur du désespoir.

Catherine Plassart
septembre 2008

Sans Titre, encre sur papier 59 x 42 cm 2010

 

Le visage – notes d’atelier

Le visage peint, même défiguré, n’est pas atteint par une violence de destruction

Ou alors, dévaster, pour une approche lente et fulgurante à la fois

Le voile de peinture comme une peau sur une peau sur une autre peau encore – peau et chair sont-elles même chose ?

Tenter l’approche du visage plus vrai que le visage d’apparence
Mais qu’est-ce que la vérité ?

Et le visage qui se découvre-là est encore une apparence
Qui se donne à voir
Qui se dévoile au regard face à lui
Qui ne se voit pas soi-même

Ou est-ce ce visage en deçà de soi qui advient comme miroir ?

Ou est-ce l’autre de soi, perçu par autre chose que l’œil ?
Senti par le noir du corps, mis au monde par la caverne du cerveau, dans la grotte du ventre, boue des humeurs, du sang ; veines, nerfs et muscles enchevêtrés qui se mettent à penser ?

Et l’os, lui ? et le squelette ? trop blanc, il ne perçoit rien

Y a-t-il du vide dans le corps ?

La peinture fait et défait, à l’envi ; par là même, la mort en peinture n’existe pas
Ou alors, ce n’est que ça : la mort – transformation infinie, cycle toujours recommencé, toutes les saisons sont là, et l’eau se mêle à la terre, devient boue, se condense à nouveau en pluie, redevient matière, pourrit en forme

Si, d’aventure, le visage se décompose sur la toile, il se recompose dans l’œil de celui qui le regarde, regagne sa dignité

Et en retour, qu’est donc cette matière qui nous rend un regard ?

Le visage, toujours exposé, à nu, a-t-il besoin d’être encore plus dénudé ?

Peu importe le cri, la grimace, le signe de défaillance, d’extase ou de douleur ; le visage est toujours là, intact

En signe d’amour, la dévastation comme geste de guérison

Peinture du visage comme une accélération du temps ? chaos, naissance, vieillissement et mort – pour renaître sur un rien de papier, sur une peau de toile

Une photo capte la peau, toute la peau de toute chose – la peinture la troue

Le visage de peinture n’a pas d’identité – ou les a toutes ; défiguré, le visage est celui de tous

Et son contraire : figuré, le visage de Rembrandt est lui, nous ; le visage de Goya est le sien, le nôtre

S’aviser de peindre un visage pour la première fois ? - ou un visage surgi par inadvertance, apparition imprévue, hors de toute intention- et il sera impossible de s’arrêter là : un visage appelle un autre visage, et un autre, et d’autres encore.
Désir insatiable, jusqu’à un dégoût qui n’arrête pourtant rien
De quelle glaise demandent-ils à sortir ?

Le visage figuré-là n’est pas celui qu’on voit ; c’est un autre visage, de qui n’est pas là

Visage comme trou béant dans notre désir

am cutolo
Jeudi, 6 novembre 2008

 

Ange déchu (2) 40 x 80cm

Ange déchu (3) 40 x 80cm

 

La peinture d’Anne-Marie Cutolo est un espace contradictoire, la violence d’une proximité sans reste noyée à l’horizon, la survivance de ce corps là dans sa chair séparé par la terrible douceur d’une peinture non figurative. Foudroyé en peinture, son corps est promesse d’orage, éclair d’un non dit exprimé à partir de cette chair qui n’est jamais que l’autre de soi, d’un sens exilé.

Fabien Claude

 

page 3