
Exposition Musée du Mémorial de Caen
Christophe Miralles et ses portraits d’humanité
En voie d’âpre lumière, en verticalité blessée, Christophe Miralles traque les fins de la peinture. Au bord intime de la disparition, ses saisissants portraits d’humanité, aux faces creusées d’abîme, creusets de nuit habitée de cruauté, marquent l’écho aigu et mystique des meurtrissures vitales.
Ils sont aussi dans l’imminence d’une autre naissance, et dans l’attente d’une autre humanité…
Comme si la nôtre ne méritait plus d’avoir un visage…
Née de l’outre-peinture de Goya, la peinture de Miralles, fuyant toute narration, jamais ne s’installe. Art de renaissance.
Le corps fait tache dans le vide, le corps est ce qui viole le vide. L’absence du regard, acculée à son plus cru dépouillement, fait miroir d’opacité, et dévaste à l’avance les faux-semblants fragiles de toutes les cultures installées.
Christophe Mirallès apprivoise durement l’impensable, comme s’il saccageait la fin de tous les espoirs, et son étrange lumière, tamisée de ténèbres, épouse les grands silences de l’univers. Cependant qu’un visage unique, innombrable et latent, chaotique et possédé, sidérant notre avenir, attend l’ouverture…
Au-delà du corps sont les beaux lointains du corps : ceux du dehors, projetés aux ailleurs des identités sacrifiées, et ceux du dedans, vouées aux profondeurs ignorées. Il faut se méfier de la surface des corps. Elle renvoie à la séduction dangereuse des écrans, au pénible premier degré des signes, à la toute mort du sens.
Le dedans du visage est un immense massacre, et Miralles peint à vif les brûlures du magma humain. Quand la lave humaine sommeille dans les profondeurs bloquées, l’artiste peint des trous dans la peau des choses. Ses corps naissent de ces trous. Corps à trous, dans leur immaculée splendeur picturale... Arrachés au néant, ils se moqueront du beau jusqu’à la fin des temps, et les taches aveugles du mental profond, secrètes et niées, imposant leur impact, prennent enfin leur envol.
Corps en délit d’apparence, et portraits en monstration. Corporéité marquée d’abstraction sensuelle, et riche de chaude épaisseur vitale. En elle, en effusion pâteuse et tressaillante, s’enfouit la chair lointaine qui semble sourdre du profond de la toile. Le fond possède sa propre identité, creusée d’altérité, et fouillée au même rythme que l’effigie de la tête, tandis que montent les insidieuses tensions de la lumière.
Venant à bout de son ordinaire individualité, l’artiste impose la puissance d’être des arts primitifs. Ils servent d’assise, de grand véhicule, et d’arrière-langage à cet art obsessionnel, éprouvant et scandaleux. Crûment sexuée de mort, exploratrice des douleurs lourdes du monde, l’œuvre pure de Miralles est celle d’un formidable chirurgien d’âme qui creuserait à mains nues l’énigme inouïe de la face humaine. Car le visage connu et ressassé sonne faux, le déjà-dit tue l’art et la vie, d’autres visages, avides, doivent surgir.
Ce que les ornières de la culture cachent obstinément, la part secrète le révèle : les saignées de l’être, les corps sacrifiés de nos ombres, et leurs beautés tragiques. Et le corps peut disparaître dans l’opacité sans fin de l’univers, la peinture, à coeur ouvert, palpite. Le corps est vêtu d’espace, et la peinture seule est nue.
Cruelle illusion d’immortalité factice : on voit des corps qui furent, au non-visage broyé, au non-regard toujours posthume…
Chez Miralles, la part sombre hurle à la vie en préservant le chaos d’origine de l’incarcération corporelle, et les corps altérés de toutes nos ombres sécrètent les affres de la fureur identitaire…
Sa sculpture est d’un monstre-corps sans racine, explosé en métamorphoses brutales, séparées du réel fabriqué, et libérées des bienséances. Ce sont corps crucifiés qui exténuent d’avance tous les statuts imposés, et les beautés du voir confortable. Ces pantins disloqués et sublimes, au prix à payer inouï, sont tous venus de la première nuit. La nuit d’origine. Ils ont peur des lumières qui aveuglent. Ils sont nos doubles toujours déjà meurtris, quand la création vole à la mort-vie ses lambeaux d’être.
Miralles, éprouvant l’art à mortelle hauteur d’horreur et de beauté, s’approche au plus près de ses toiles, et de plus en plus près. La peinture naît de ce dur combat. Que va-t-il se passer ?
Fabuleux suaires oubliés, ses portraits implacables sont l’archipel éclaté d’un impossible visage, celui du plus terrible autoportrait jamais envisagé…
Christian Noorbergen
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