Patrick Santus
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Patrick Santus. L’irréductible en peinture.
La peinture ne représente rien : elle intensifie une présence. On l’a dit des milliers de fois, mais c’est comme si nous ne parvenions toujours pas à y croire. Nous cherchons encore en effet – presque avec l’énergie du désespoir ! – du côté de la figure et du sens : ça doit bien, quand même, derrière toutes les déformations auxquelles la modernité semble désormais nous condamner, représenter quelque réalité du monde ou quelque idée, et donc vouloir dire quelque chose. Sinon, à quoi bon peindre ?
Même si l’on sent bien qu’elles ne relèvent sûrement pas de l’art du portrait, les séries « Freud » et « Artaud » de Patrick Santus peuvent paraître combler notre désir nostalgique de la figure et du sens. N’y a-t-il pas là en effet du ‘motif’, sous la double forme d’un modèle à représenter (avec toute la liberté qu’on voudra) et d’une motivation à le faire ? La répétition ostensive, en série, de ces visages plus ou moins dé-figurés ne finit-elle pas par signifier qu’elle a voulu faire sens, et qu’elle le veut encore chaque fois que nous les regardons – un sens ‘obtus’, sans doute, mais un sens quand même ? Patrick Santus nous livrerait ainsi une sorte de transposition picturale d’une double scène que nous connaissons bien – nous qui sommes des ‘Modernes’ et qui, donc, savons que nous ne sommes plus dupes. Or, par l’effet d’un étonnant paradoxe, cette double scène qui nous est devenue si familière, et que nous pensons volontiers reconnaître ici, n’est autre que celle de la cruauté et de l’inconscient. Ainsi Patrick Santus réveillerait-il en peinture, pour notre plus grand plaisir, deux de nos monstres les plus étranges et les plus délicieusement proches : la violence et le désir. Aussi pourrait-il dire, comme Freud lorsqu’il fut accueilli triomphalement aux U.S.A., « Ils ne savent pas que je leur apporte la peste »…
Ce ne serait déjà pas si mal. Mais ce n’est rien encore, ou presque. Cette peinture est en effet irréductible à la libre figuration d’un sens et d’un motif, et c’est bien pourquoi on a précisément affaire avec elle à de la peinture. Cet irréductible, au-delà ou en deçà de tout vouloir-dire, c’est l’insensé d’une présence. De fait, l’intensité de présence de ces visages nous porte bel et bien ailleurs : ces yeux ne veulent rien voir du visible, ces bouches ne veulent rien dire du dicible, parce qu’ils appartiennent à ce qu’Antonin Artaud appelait le « corps sans organes », qui n’est pas celui des fonctions biologiques et sociales d’adaptation, mais celui des ruptures intensives de la vie. Cette sourde révolte picturale contre la totalité de l’institué ne fait certes pas sens, elle intensifie bien plutôt la vitalité de la vie humaine. Et elle le fait, non pas en ‘défigurant’ l’humain (pour nos délices ou notre scandale), mais en revenant à cet étrange instant de grâce et d’effroi où l’humain s’arrache à l’animalité en retrouvant et en transposant précisément la pure force de vie animale. Cet acte, si proche et si lointain de celui de la bête, est aussi l’acte constitutif de la peinture, de toute peinture. Nous le savons depuis Lascaux, nous l’oublions chaque jour. Les tableaux de Patrick Santus en commémorent la présence active.
Pierre Rodrigo
Professeur de philosophie à l’université de Dijon Bourgogne
Auteur de : L’étoffe de l’art
Aux Éditions Desclée de Brouwer

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