Jean Echenoz

 

Jean Echenoz

 

Jean Echenoz, né en 1947, est considéré depuis son premier livre. Le Méridien de Greenwich (1979), comme l'un des écrivains les plus novateurs de sa génération. Et il n'a jamais manqué de le prouver avec l'Equipée malaise (1986), Nous trois (1992) ou plus récemment Au piano (2003). Fidèle à Jérôme Lindon son éditeur, tous ses livres sont publiés chez Minuit.

 

 

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En 1993, son fantastiquement nerveux Cherokee nous avait alerté sur le côté "dingue de jazz" d'Echenoz. Il a récemment donné pour Jazz et Ecriture un long entretien. « Il se passe quelque chose avec le jazz » confie-t-il avant d'expliquer les relations "programmatiques", "rythmiques", "temporelles"... que son travail entretient avec la musique improvisée, de Parker, de Monk, de Ayler en particulier. Cet entretien est à lire dans son intégralité dans la revue Europe (numéro spécial "Jazz et Littérature") La parution de Cherokee fut unanimement saluée. Jean-Patrick Manchette, dont on connaît les penchants jazzistiques, envoya à Echenoz la "note" suivante :

« Le 14 juillet 83.
Cher Jean Echenoz,
A côté des énigmes nombreuses et saugrenues qui s'entrelacent dans ton Cherokee, le vrai mystère de ce bouquin, c'est qu'il tient debout et qu'il est passionnant et drôle. On ne sait pas pourquoi. Car enfin ce n'est qu'un amas de déchets, comme sont tous les romans contemporains, et Cherokee est un amas de déchets spécialement hétéroclites et qui devraient se détruire les uns les autres. Ce "méta-polar" référentiel, cette frénésie de descriptions "objectales", cette débauche d'allusions qui fait du Faucon maltais un perroquet débagoulant et latiniste, cent autres références discrètes, et puis cette écriture outrageusement précieuse et qui rit d'elle-même et de la misère de sa propre préciosité - tout ce bordel devrait être, au bout du compte, une autodestruction et un ratage, un sommet de l'effondrement. Or non. Ça tient. D'une manière antiphysique : comme un château de cartes qui serait une brique. Tu me mets dans la perplexité, mais dans la perplexité enthousiaste. La seule chose que j'ai comprise, c'est le titre, mais ce Cherokee qui devient Koko, c'est une affaire qui ne regarde que nous, et ton perroquet délirant, et l'ombre de Charlie Parker. Au total je suis épaté car c'est épatant.» (Manchette)

dans Jazz sur son 31, bulletin de la librairie Ombre Blanche Toulouse

 

 

"Le parachèvement de cette nouvelle vie, si bien transformée, ne consisterait-il pas dans l'adoption d'un nouveau nom ? L'imaginatif Pons eût par exemple aimé se faire appelé Tuan, titre éprouvé de noblesse locale, mais les employés se montrèrent réticents. Duc, songea-t-il un soir. Duc, peut-être. Sonnant assez comme un prénom du cru, cette appellation fut mieux acceptée. Duc, duc Pons, riaient les ruraux qui se prêtèrent de bonne grâce à l'innocente lubie. Elle passa bientôt dans l'usage. En peu de temps Pons devint le duc Pons, connu sous ce titre jusque chez les banquiers de Kuala Lumpur, les hommes d'affaire de Singapour avec lesquels il traitait de plus en plus, de mieux en mieux. Dès 1967 en effet, la plantation retrouvait une prospérité oubliée, la surpassait même en débitant une grosse tonne de gomme par hectare et par an."

L'Equipée malaise p.11 éditions de Minuit

 

 

 « Je m'en vais », ce sont les premiers mots prononcés par le héros du roman d'Echenoz, qui vient de décider de quitter sa femme. Ce sont également les derniers mots du livre, émis par ce même héros lorsque, après une année d'errance et d'aventures, le cour brisé, il revient hanter ce que fut le domicile conjugal. La boucle est bouclée, la révolution est terminée, la parenthèse se ferme, le héros a simplement un peu vieilli. Il a connu des aventures qu'on dirait palpitantes à cause des dérèglements de son muscle cardiaque, il est allé jusqu'au pôle Nord pour récupérer un trésor d'ancien art esquimau, il a été volé et voleur, escroc et escroqué, séducteur et séduit, il a vécu. Il ne lui en reste qu'un vague malaise et un essoufflement.
De livre en livre, depuis Le Méridien de Greenwich, paru il y a vingt ans, Jean Echenoz s'est fait le cartographe de son temps. De ses séismes, de ses catastrophes, de son imaginaire, de ses objets, de ses rêves et de sa longue glissade hors du réel : dans les images, dans les fantasmes, dans les rêveries de conquête, dans l'éloignement de soi et des autres. Je m'en vais, c'est aussi la formule d'adieu d'un siècle bien incapable de savoir où il va et qui oublie même de se poser la question. Il s'en va, c'est tout.
     D'autres ont fait des drames. Par éthique littéraire, Echenoz a choisi d'en jouer et d'en rire. Plus notre quotidien est immoral, conditionné, soumis à la dictature de la marchandise, du mensonge et de la laideur, plus les discours qui l'accompagnent en rajoutent sur la morale, la liberté, la vérité et la beauté. Echenoz inverse la vapeur, sans proclamation, manifeste ou démonstration, ce qui serait encore du spectacle - et donc de l'illusion.

Pierre Lepape, Le Monde

 

voir aussi :

- remue.net : un dossier complet sur Jean Echenoz
- le site des éditions de Minuit : pour découvrir Echenoz, lire le dossier sur Cherokee
- Au Piano par Jean-Claude Lebrun et autres chroniques du même
- Le Français dans tous ses états : enseigner avec Lac
- l' Académie de Versailles : enseigner avec Je m'en vais
- le site Echenoz d' Amancio Tenaguillo y Cortázar
- la biblio Echenoz du site Labyrinthe
- l' entretien avec Jean Echenoz sur Zone littéraire
- un portrait dans l'Express Livres
- impressions de photographe par Annie Assouline

 

 

 

"C'est drôle que vous citiez ce passage. C'est le genre de moment du texte où j'ai un peu l'impression de travailler comme sur un morceau de jazz, avec du phrasé, de la reprise, de la coupure... " dans l'entretien avec Hervé Delouche dans Regards , 1997

>>> lire l'entretien

Ravel, janvier 2006 eds de Minuit

« On s'en veut quelquefois de sortir de son bain.. »
C'est ainsi que débute ce livre qui est plus qu'un roman, plus qu'une biographie, qu'un récit, plus qu'une histoire : un livre de Jean Echenoz qui raconte les dix dernières années de la vie de cet immense compositeur (et piètre pianiste) que fut Maurice Ravel (1875, Ciboure - 1937, Paris), personnage singulier, « grand comme un jockey, donc comme Faulkner. 1 mètre 61 pour 45 kg », un peu maniaque, plutôt dandy. On est prévenu à la page 18, fin du premier chapitre : « il lui reste aujourd'hui, pile, dix ans à vivre. il est à cinquante-deux ans, au sommet de sa gloire. »
On (l'emploi de ce pronom apporte une touche magique, donnant l'impression que nous sommes vraiment avec Ravel, que nous l'accompagnons) suit donc le compositeur au cours de son voyage, le seul, aux Etats-Unis sur le paquebot France (il s'agit plutôt du Normandie) puis lors de la tournée exténuante des concerts, on partage avec lui les vacances au pays basque, on évoque la création du fameux Boléro, la seule ouvre connue du grand public (« un jour qu'il passe avec son frère près de la fabrique du Vésinet : tu vois, lui dit Ravel, c'est là l'usine du Boléro » ) ; on assiste également à l'écriture de ses concertos et de ses problèmes avec les interprètes, les chicanes avec ses confrères (Auric, Milhaud, Satie) et, surtout, le début de sa maladie, mystérieuse à l'époque (apraxie), son opération et la mort qui s'ensuivit : « il ne laisse pas de testament, aucune image filmée, pas le moindre enregistrement de sa voix ».fin.
Le plus remarquable, dans ce livre qu'on avale d'un seul coup (124 pages), c'est autant la petite musique d'Echenoz que la grande de Ravel, par cette façon biaisée, pleine de retenue, de ces phrases courtes qui en disent long (au passage, l'auteur, amateur de jazz, regrette qu'en cette année 27, personne ne mentionne la naissance de Gerry Mulligan !), cet humour qui ne veut pas dire son nom, et qui sont les balises de son talent.
On a beaucoup aimé, beaucoup.

Jacques Chesnel
(janvier 2006)

Jacques Chesnel est membre de l'Académie du Jazz. Auteur de "Le Jazz en quarantaine" (Isoète), "Les Grands Créateurs de Jazz" avec Gérald Arnaud (Bordas) ; auteur et consultant "jazz" pour l'Encyclopédie Encarta sur CD-Rom. Peintre, il travaille depuis plus de trente ans sur les rapports entre jazz et peinture. www.jazz-chesnel.com

 

Bibliographie : 

tous les ouvrages sont publiés aux éditions de Minuit

Ravel, 2006

Au piano, 2003

Jérôme Lindon, 2001

Je m'en vais, 1999, Prix Goncourt 1999

Un an, 1997

Les grandes blondes, 1995

Nous trois, 1992

Lac, 1989

L'occupation des sols, 1988

L'équipée malaise, 1987

Cherokee, 1983, Prix Médicis 198313,57 €  , Poche, volume triple 2003

Le méridien de Greenwich, 1979


Entretiens :

Revue Europe, n° 820-821 / août-septembre 1997. Jazz et Littérature, contient un entretien avec jean Echenoz 

Catalogue :

Sophie Ristelhueber, texte Jean Echenoz, Beau livre, Paris Musées éditions

 

 

Vue des textes de Jean Echenoz durant l'exposition Le Luxembourg ,
impression numérique sur bâche
©S.Ristelhueber

 

 

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