Livre et artiste

"Ceci est un livre d'artiste" ou la sémantique d'un objet.

La riche histoire du livre d'artiste a environ cent ans. Elle débute dans les premières années du XXème siècle,  avec la pratique plastique de quelques grands artistes, Picasso, Matisse, Miro, Dubuffet... qui utilisent le livre comme support de création. L'illustration des textes n'est plus à partir de ce moment une pratique auxiliaire mais une recherche de dialogue entre écriture et image dans un espace intime qui favorise les correspondances et procure au livre le statut d'objet d'art.  L'éditeur encourage la collaboration de l'artiste et de l'auteur, ou leur confrontation  pour qu'advienne cet objet porteur de l'histoire d'un processus créatif complexe. La notion d'édition est donc importante car contenus, procédés, matériaux, tirages  y sont motivés par ce qui a valeur de genre : le livre d'artiste.

Aujourd'hui, alors que de nombreux artistes se font éditeurs et produisent des ouvrages uniques ou à tout petit tirage, certains observateurs de la vie du livre souhaitent distinguer entre "livres d'artiste" et "livres d'atelier". Pourtant lorsque l'artiste est l'initiateur et le porteur du projet d'édition, lorsqu'il est le maître d'oeuvre qui  façonne l'ouvrage et lui procure sa forme, il est encore celui par qui le dialogue commence avec l'auteur.  Et ces artistes du livre sont eux aussi, à la fois les gardiens d'une  tradition et les chercheurs de nouvelles formes à expérimenter.

Peu importe en dernier lieu,  l'aspect d'un ouvrage dès lors que l'éditeur ou l'artiste-éditeur déclare "ceci est un livre".  Car on pourrait se heurter sans fin à la diversité des conceptions du livre d'artiste. Ecrit, gravé, peint, imprimé selon les procédés traditionnels ou  exploitant les nouvelles technologies, il est le réservoir de quantité de pratiques, le miroir de l'imagination créatrice. Il met en jeu de nombreuses techniques plastiques, peinture, photographie, art graphique, sculpture.. ,  il accepte diverses formes de textes, poésie, notes d'ateliers, textes scientifiques... On peut même dans un  seul ouvrage les trouver  réunies. Il est  pluridisciplinaire et multiforme. 

Dans le champ de la bibliophilie contemporaine, on cotoie des éditeurs  et des artistes-éditeurs qui prolongent les pratiques initiées au XXème siècle et offrent au livre un lieu d'expérimentation et de questionnement. Le livre d'artiste doit être compris comme un genre artistique qui relève d'attitudes complémentaires, d'une intention commune,  d'une spécialité partagée.

Catherine Plassart

Editeurs

Editions Almanar , livres d'artistes, tirages de tête, art&fiction édition de livres illustrés, livres d'artiste, revue, Les Arêtes éditions livres d'artistes, livres uniques, Editions de la Canopée livres d'artiste, Daniel Legrand éditeur ouvrages de bibliophilie et carnets d'atelier, L'Entretoise livres d'artiste, Editions Jannink collection L'Art en écrits, éditions Mona Kerloff livres illustrés.

Artistes-éditeurs Claude Abad Livre d'artiste, Marie Alloy les Editions du Silence qui roule, Alain Bar les Editions Parole gravée, Geneviève Besse plus de 60 livres d'artiste, A.-M. Cutolo & F. Claude les Editions l'Un vers l'Autre, Sylvie Deparis livres d'artistes, Patricia Erbelding livres d'artiste, Christine Gendre-Bergère gravures et livres d'artiste, Maya Mémin livres d'artiste, Anne Slacik livres peints, Motoko TACHIKAWA livres d'atiste.

Livre et sujet :

Petite anthologie du livre comme sujet dans l'art depuis 1970 :

>>> voir

Livre et mémoire

Le peintre Bernard Lacombe fait partie du petit nombre de ceux qui savent que les livres sans la structure stricte de la bibliothèque se perdent et se dispersent comme des âmes en peine. voir

Tel un bibliophile solitaire, un archéologue du savoir, il se promène dans les grandes et vieilles bibliothèques d'Europe.

Livre et écriture :

Dotremont : "J'écris pour voir"

Du point de vue de l'histoire de l'art Christian Dotremont est le fondateur de COBRA, un mouvement artistique né en 1948 et dissout en 1951. Une courte existence de trois années pour ce laboratoire de la création dont sortiront les oeuvres de grands peintres Karel Appel , Asger Jorn, Corneille , Pierre Alechinsky, Jean-Michel Atlan , mais aussi celles de Pol Bury , Henry Heerup , Carl-Henning Pedersen , Jacques Doucet, Joseph Noiret, Constant, Egill Jacobsen. Animateur, théoricien, commentateur du mouvement, Christian Dotremont  en est aussi le  secrétaire général. 

"Pour Dotremont, la création doit jaillir de la vie. Elle répond à une mission révolutionnaire : accorder l'avenir aux couleurs du désir... L'enthousiasme est de génération." (Michel Draguet) . Les désillusions aussi. Dès 1950, il rompt avec le communisme et se rapproche de la poétique libertaire.

Christian Dotremont est malade. Mais, il a su maintenir le lien qui unit les membres du groupe.  Ainsi nourri de ses dialogues avec les peintres, il établit un processus de régénéressence qui passe par l'image. Il entreprend de mener la poésie vers d'autres formes. "Il la dompte en gestuel qui griffe la toile, balafre le papier. Il s'y soumet aussi en calligraphe sensible qui pressent dans la maîtrise de la main un temps d'harmonie solaire." (Michel Draguet)

Sa quête le conduit en Laponie durant l'hiver 1956-1957. La neige lui offre sa page blanche. La main est libre. Le geste se déploie. Le mot trouve sa plénitude. Le logogramme est né. Que la fête commence.

L'écriture révèle « son cri » et/ou « son chant » . Le poème se regarde. Tantôt, Dotremont propose son texte en clair sous le logogramme tantôt celui ci est absent, ceux sont les logogrammes dits "incertains".

Catherine Plassart

Peintre et poète belge de renommée internationale, Christian Dotremont est le fondateur du groupe « surréaliste révolutionnaire » de Belgique en 1947 et du mouvement Cobra (1948-1951).

Livre et lecture

Comme de nombreux peintres, Miquel Barceló a réalisé, à partir des années 1980, un grand nombre d'autoportraits - « être le bourreau sous le regard de la victime » dit-il. L'originalité est chez lui dans la récurrence de la représentation : on le retrouve pensif, au milieu de nombreux livres, verres de vin, et récipients variés, souvent nu et entouré de fumées dans la suite des bibliothèques. L'Amour fou de 1984, où l'artiste se peint allongé en érection, au milieu de rayonnages débordant des ouvrages de Baudelaire, Fitzgerald, Joyce, Kafka, Nabokov, Poe, Proust, Stevenson, Virgile ... montre, puisque le titre du tableau en référe à André Breton que le pas est franchi vers un nouvel état de soi, celui de peintre sans doute.

photo : autoportrat en lisant 1984

voir : une suite de bibliothèques de M. Barcelo ICI

Livre et infini de la bibliothèque

- Pourquoi craindre de trouver la bibliothèque ancienne ?
Telle était la question que se posait J.L.B. ce jour là. Fasciné par cette demeure située à l'écart entre la gare et la place déserte : la trace de ses pas valait bien son déplacement. O pied d'aveugle parti sans savoir ! Borges s'échappait vers son enfance dans les faubourgs autour des quartiers enfuis de sa mémoire. Voyage dans la petite histoire comme la répétition d'un parcours plus large, d'un départ achevant le cercle du monde. Tout autour de lui s'était immobilisé sur le chemin de son itinéraire. Tenant sa canne avec précaution il s'imaginait marcher toujours et disparaître enfin après avoir rencontré la bibliothèque perdue.
- Destin des livres ! se répétait-il. >>> Lire la suite

J.L.Borges et l'infini de la bibliothèque Pierre Givodan (nouvelle)

Alicia Martin emploie des milliers de livres disposés en tas, en désordre et en vrac pour ses sculptures et ses installations. Tourbillons, monuments, véritables cornes d’abondance, vomissent des milliers d’ouvrages. Les livres se pétrifient dans un mouvement, se fixent dans le temps, comme figés dans leur chute. Ils interrogent le respect de la culture humaine. >>> voir

Livre et absence :

Anselm Kiefer. 20 Jahre Einsamkeit (20 ans de solitude). 1971-1991. Volume 7 sperme sur papier et carton. 43 x 29'5 x 4 cm. coll particulière voir d'autres oeuvres de Anselm Kieffer

Peintre, sculpteur mais avant tout poète, Anselm Kieffer écrit le monde sans le recours aux mots. Le livre tantôt le hante, tantôt l'habite.

Quand il devient sujet de sa peinture ou de sa sculpture, il témoigne de la disparition des traces, de la fragilité du témoignage, de la présence ténue de l'absence.

Cette esthétique de l'absence, est aussi celle de Georges Perec.

Livre et blanc :

"Il y avait un manquant. Il y avait un oubli, un blanc, un trou qu'aucun n'avait vu, n'avait su, n'avait pu, n'avait voulu voir. On avait disparu, ça avait disparu [...] Tout a l'air normal, tout a l'air sain, tout a l'air significatif, mais, sous l'abri vacillant du mot, talisman naïf, gris-gris biscornu, vois, un chaos horrifiant transparaît, apparaît : tout a l'air normal, tout aura l'air normal, mais dans un jour, dans huit jours, dans un mois, dans un an, tout pourrira : il y aura un trou qui s'agrandira, pas à pas, oubli colossal, puits sans fond, invasion du blanc. Un à un, nous nous tairons à jamais.

La Disparition (extrait)

Georges Perec