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![]() Né à Carnac en 1907, le «poète breton d'expression française», comme il se définissait lui-même, a publié son premier recueil, Requiem, en 1938. Son deuxième recueil, Terraqué lui apporta la consécration dès 1942. Auteur de quelque vingt recueils, il a reçu le grand prix de poésie de l'Académie française en 1976 et le grand prix national de poésie en 1984. Il est décédé en mars 1997. Guillevic était l'un des poètes majeurs de notre temps, avec une oeuvre dépouillée, cristalline et forte, traduite en plus de quarante langues dans 60 pays. Pour lui, la poésie permettait de maîtriser "l'inquiétante étrangeté des choses". Sa langue dans de courts textes, était précise, dépouillée et travaillée au point qu'un critique avait qualifié sa poésie, d'aiguë et brillante comme un rocher breton. Eugène Guillevic, plus couramment appelé Guillevic, a vécu enfant dans le Nord, suivant son père gendarme. En 1926, il entre dans l'administration de l'enregistrement : Alsace, Ardennes, puis le ministère des Finances et des Affaires économiques en février 1955. Il vit alors à Paris. Catholique pratiquant jusque vers 30 ans, Guillevic devient sympathisant communiste lors de la guerre d'Espagne, puis adhère au Parti communiste en 1942 et restera fidèle à cet engagement jusqu'en 1980. |
Du domaine
Est confié aux arbres.
Si c'est pour demander
Pourquoi le silence,
Vous n'êtes pas d'ici.
Le dehors
Doit exister.
Dans le domaine,
Les buisssons
Ne se plaignent pas.
L'eau
Dans l'étang
Est occupée
À garder le temps.
Des haies.
Que fait un regard
Que rien n'arrête ?
Rien ne caracole
Dans le domaine,
Sauf peut-être
Au plus grenu des pierres.
La lune,
Soit !
Qu'elle apparaisse
Pour être éconduite.
Ah oui ! Le vent
Des roses
qui ne pensent pas
À être des roses.
Autour du domaine,
Le vent se cherche
Des porte-parole.
On ne se couche
Que pour s'avouer son corps.
Quand le vent se nie,
Alors c'est le vent.
Il y a des feuilles auxquelles
Il n'est pas question de parler.
Les massifs d'orties
Servent de cicatrices.
Pitié pour les bêtes
Qui n'ont pas de nuit.
Il y a des silences
Gros de silence.
Ils s'écoutent.
Les horizons
Surveillent les arbres.
Dans le domaine
Que je régis,
J'enquête.
Dans le domaine
On ne sait pas toujours
Où est la surface.
Le domaine
Est peut-être un rêve
Qui a trouvé
Son territoire.
Descendre dans l'étang
N'apprendra rien de plus
Probablement
Sur le domaine.
La branche -
Infatigable.
Les toits
Ne savent pas toujours
Ce qu'ils ont à faire.
Le ciel
N'est pas toujours chez lui.
On ne sait jamais
Ce que fera la branche,
la prochaine fois.
On t'accompagnera
Si tu trouves ta route.
L'eau de l'étang
Jamais surprise
En flagrant délit.
Du silence
Qui s'en prend
Il ne sait à quoi.
Il faut parfois
Beaucoup de lointain
Pour aller de la chambre
Jusqu'à l'étang.
Pendant tout ce temps,
L'eau
Ne pense qu'à soi.
Ce n'est rien.
C'est l'étang
Qui, cette fois,
Dort pour de bon.
L'oeil
Dans la tourterelle.
L'eau
Dans l'étang
Qui de nous
A pu
S'affranchir de l'absence ?
À force de croire
À sa propre joie,
La voici
Qui a le dessus.
La grande lumière aussi
Fait tâtonner.
Et ces pigeons
Qui revenaient
Nous étaler
Leurs mouvements
Trop réussis.
Vient un moment
Où le chêne lui-même
Pense à la durée.
S'il n'y avaient pas les ramiers,
Les rochers
Seraient plus fermés.
Pas pour toujours,
Dit la pluie.
Il y a des feuilles
Plus taciturnes.
Donnez vos preuves,
dit l'étang.
La ronce
N'est pas le pire
Tant de mains
qui hors du travail
Ne savent pas quoi.
Qui de nous
Ne braconne pas ?
Aux confins du domaine,
tous les regards
sans yeux.
L'eau
Sur le point de dire
Comme tout le monde :
Qu'est-ce qu'on me veut ?
La mousse,
Etonnée,
Autant qu'un chevreuil.
"Loin,
Loin,
Loin"
Criaient
Les corbeaux
.
Dans le buisson,
Des yeux
De chevreuils ou de papillon.
Ces moments
Où rien n'est intercepté.
Toujours le vent
Trouve à redire,
À lui-même
Surtout.
Le froid -
À lui-même
Incompréhensible.
Là-haut
L'épervier dit :
C'est maintenant,
L'éternité.
Si l'on entendait
Le travail des radicelles,
Qui s'endormirait ?
On n'en finit pas
De s'habituer.
C'est avec du noir
Que les lampes fabriquent
Ces lumières qui grincent.
Quelque chose
A palpé l'air
dans le sous-bois.
Le lierre
Est, comme toi,
De la préhistoire.
Avoue toujours.
Plus tu en diras,
Plus tu en garderas.
Dormir, dormir,
Disaient les toits.
Mais quelque chose
Les reclamait.
Chaque arbre
A sa façon
D'appâter le soleil.
Il allait seul
Dans les allées,
Abandonné
Par son enfance.
Le noisetier
A dû dormir.
Il te regarde et cherche
À se rappeler.
La tourterelle
N'aura pas pitié.
De tous ceux du domaine
C'est encore toi
Qui mendies le plus.
Comme les lichens
Avoir soin du temps.
Le ver de terre aussi
T'a donné quelque chose.
Nous n'espionnons pas
Se murmurent les nuages.
Toutes ces ronces
Privées d'ennemis.
L'horizon
Ne cille jamais.
Nos veilles commencent
Au petit matin.
L'eau
Dans la terre
Est indulgente.
À la surface
Il lui en reste quelque chose.
La grenouille
Se souvient
Qu'elle doit chanter.
Ne comptez pas
Les soleils couchants.
Il y en aura.
Gallimard, 1967
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Bibliographie sélective
Guillevic à Carnac
Textes de M Bernard, M Grall, JY Le Drian, JY Le Corre, C Albanel, O Bernard, J Cortot, A Gallimard, P Poivre d’Arvor, M Deguy, L Albertini Guillevic. Illustré d’une sérigraphie de Jean Cortot imprimé par l’atelier Eric Seydoux à Paris et d’une pointe sèche de Thierry Le Saëc. editions la Canopée.
voir l'ouvrage
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A propos : ... Né à Carnac en 1907, le «poète breton d'expression française», comme il se définissait lui-même, est l'un des poètes majeurs de notre temps, avec une oeuvre dépouillée, cristalline et forte, traduite en plus de quarante langues dans 60 pays. Pour lui, la poésie permettait de maîtriser "l'inquiétante étrangeté des choses". Sa langue dans de courts textes, était précise, dépouillée et travaillée au point qu'un critique avait qualifié sa poésie, d'aiguë et brillante comme un rocher breton.
155 ouvrages illustrés par des peintres contemporains, tels que Marie Alloy , Baltazar, Bazaine, Cortot, Dorny, Dournon, Dubuffet, Léger, Le Saëc , Manessier ont été recensés. Un choix a été opéré dans cet ensemble pour l'exposition "Guillevic et les peintres" qui se tiendra dans le hall de la mairie de Carnac du 20 juin au 13 août. Une sélection parmi les estampes et tableaux provenant de ces artistes accompagnera la présentation de ces ouvrages originaux.
Guillevic aurait eu cent ans en 2007. Thierry Le Saëc , artiste, éditeur et par dessus tout lecteur de poésie a pris lui aussi l'initiative d'un hommage sous forme d'exposition au Manoir Lemay situé à Guéhenno, du 28 juin au 25 août 2007 accompagné d'un porfolio d'artistes.
Il a invité des artistes à intervenir graphiquement à partir de leur lecture personnelle de la poèsie de Guillevic. Marie Alloy , Christine Crozat, Catherine Cuneo d'Ornano, Alain Hissette, Rodolphe Le Corre, Guy Le Meaux, Patrice Pouperon et Jean-François Rospape ont réalisé un ensemble d'estampes, de dessins et de photographies qui sont réunis dans un portfolio inédit, tiré à 30 exemplaires, L'oeil concret de Guillevic . Cet ouvrage comprend aussi des textes de trois auteurs : Raymond Jean, écrivain et ami intime de Guillevic, Jean-Pierre Montier et Françoise Nicol...
Catherine Plassart
Devant l’étang
poème inédit d’ Eugène Guillevic, ill. Marie Alloy éditions Le silence qui roule
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"L'Eros souverain "
Eugène Guillevic, Marie Alloy éditions Le silence qui roule
épuisé
L'oeil concret de guillevic
Portfolio avec des textes de Raymond Jean, Françoise Nicol et Jean-Pierre Montier. Eaux-fortes de Christine Crozat, Alain Hisette - Pointe sèche de Catherine Cuneo d'Ornano - Bois gravé de Marie Alloy - Graphite et crayon couleur de Guy Le Meaux - Graphite et pastel de Thierry Le Saëc - Aquarelle de Rodolphe Le Corre - Collage de Patrice Pouperon - Photographie de Jean François Rospape. éditions de la Canopée
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Texte de Jean Tortel , ill. de Th. Le Saëc éditions de la Canopée
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Guillevic, la passion du monde
collectif , ill.Le saec éditions de la Canopée
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(diffusion Art Point France)
Publications
Présent poèmes 1987-1997, Eugène Guillevic , coll Blanche Gallimard 2004
Terre à Bonheur, Eugène Guillevic, eds Seghers 2004
Proses ou boire dans le secret des grottes - 1935-1943 , Eugène Guillevic , eds Fischbacher 2001
Terraqué, suivi de Exutoire, coll poésie Gallimard 1990
(Terraqué, 1942 Collection blanche, Gallimard , Exécutoire, 1947 Collection blanche, Gallimard )
Paroi, 1971 Collection blanche
Inclus 1973 Collection blanche Gallimard , edition 1990
Du domaine, suivi de Euclidiennes, coll poésie Gallimard 1996
(Du domaine 1977 Collection blanche, Euclidiennes 1967 Collection blanche Gallimard )
Etier, suivi de Autres coll poésie/Gallimard
(Etier Poèmes 1965-1975 [1979] Collection blanche Gallimard, Autres Poèmes 1969-1979 [1980] Coll blanche Gallimard )
Art Poétique précédé de Paroi et suivi de Le chant , Collection Poésie/Gallimard 2001
Art Poétique, 1989 Collection blanche Gallimard ,
Le Chant, 1990 Collection blanche
Maintenant, 1993 Collection blanche Gallimard
Possibles futurs, 1996 Collection blanche Gallimard
Nature épousée, Eugène Guillevic, eds Ubacs 1993,, eds Pierron 2002
Mémoire de roses , Eugène Guillevic Marie-Eugénie De Pourtalès, eds Maeght
Mère Courage et ses enfants - Chronique de la guerre de Trente ans
Bertolt Brecht, Eugène Guillevic , eds Arche théâtre 1987
Humour -Terraqué - entretiens-lectures , Eugène Guillevic, Jacques Lardoux , eds Presses Universitaires Vincennes 1997
Gagner Poèmes 1945-1948 [1949] . Édition définitive en 1981, Coll blanche (1981) Gallimard
Trente et un sonnets 1954 , préf Louis Aragon, Coll blanche Gallimard
Carnac 1961Collection blanche Gallimard
Sphère 1963 Collection blanche Gallimard
Avec 1966 Collection blanche Gallimard
Ville 1969 Collection blanche Gallimard
Trouées Poèmes 1973-1980 [1981] Collection blanche Gallimard
Requis Poèmes 1977-1982 [1983] Collection blanche Gallimard
Creusement Poèmes 1977-1986 [1987] Collection blanche Gallimard
Motifs Poèmes 1981-1984 [1987] Collection blanche Gallimard
Blason de la chambre 1989 ill. de Denise Esteban , Collection Les Presses d'aujourd'hui (1982)
Quotidiennes Poèmes (novembre 1994 - décembre 1996) [2002] Collection blanche