juin 2005

L'art et l'histoire des camps

Le décès le 26 mai à l'âge de 97 ans de Zoran Music, artiste dont toute l'oeuvre est au delà du témoignage, du travail sur la mémoire douloureuse, une réflexion sur le mal nous décide à évoquer "l'histoire des camps".

Pour nombre d'artistes qui ont connu la déportation, l'art apparaît comme une valeur refuge. Il s'agit à la fois de témoigner, de sauver son âme et sa dignité, de tenter de vivre encore : Primo Lévi, Paul Célan, Zoran Music, Miklos Bokor, Claude Simon, ...

Ils tentent de sauver une parcelle d'humanité. Pour échapper au nihilisme, il leur reste "l'acte poétique comme un salut possible". Tous n'y parviennent pas, Imre Kertez ressasse l'évocation de l'enfer qui ne le conduit nulle part.

Depuis Le journal d'Anne Franck, à Si c'est un homme de Primo Levi jusqu'au Grand voyage de Georges Semprun, les livres nous ont permis d'approcher de la condition barbare qui peut être faite à l'homme. Ils inscrivent la pratique du mal dans le champ de la réflexion morale.

Les livres, les textes, la culture ont aussi joué leur rôle salvateur dans l'enceinte même des camps . C'est ce dont témoigne Georges Semprun dans L'écriture ou la vie. C'est aussi ce que révèle l'oeuvre de Zoran Music, lui qui parvient à se procurer des mines, de l'encre, pour produire ses premiers dessins à Dachau, en déportation.

« Dans les dernières semaines du camp, le danger d'être découvert a un peu diminué. Je parviens à dénicher de l'encre. Je dessine comme en transe, m'accrochant à mes bouts de papiers. J'étais comme aveuglé par la grandeur hallucinante de ces champs de cadavres. La vie , la mort, pour moi, tout était suspendu à ces bouts de papier. »

On ne choisit pas son histoire ! mais on peut y plonger un regard neuf. Anselm Kieffer a le courage de plonger le sien dans celui de son pays, l'Allemagne . Le livre, sujet récurrent dans son oeuvre plastique a le poids de la mémoire d'un peuple coupable , "d'une réalité trop lourde pour être réelle". Ses pages quasi blanches ne montrent que des traces. Seul le mythe, selon l'artiste , permet d'approcher la vérité. Elle n'est pas dans l'histoire mais dans le travail de l'oeuvre.

Le destin de l'humanisme se joue dans l'effort sans cesse repris de ces artistes pour affronter l'indicible.

Catherine Plassart

 

Anselm Kieffer , sculpture

voir d'autres oeuvres dans notre dossier Liber amoris

 

Claude Simon

A mon retour, après m'être évadé, j'ai repris la peinture mais surtout, je me suis mis au dessin. Je copiais des feuilles, une touffe d'herbe, un caillou, le plus exactement possible. Un peu dans l'esprit des dessins de Dürer que j'ai découverts plus tard. J'avais banni de moi toute idée d'art. Plus de cubisme, plus de fantaisie, rien. Les choses. Si le surréalisme est né de la guerre de 1914, ce qui s'est passé après la dernière guerre est lié à Auschwitz. Il me semble qu'on l'oublie souvent quand on parle du « nouveau roman ». Ce n'est pas pour rien que Nathalie Sarraute a écrit L'Ère du soupçon , Barthes Le Degré zéro de l'écriture . Que des artistes comme Tapies ou Dubuffet sont partis des graffitis, du mur, ou que Louise Nevelson a fait des sculptures à partir des décombres. Toutes les idéologies s'étaient disqualifiées. L'humanisme, c'était fini. Sans doute était-ce ce que je ressentais confusément quand je faisais ces dessins très exacts : il n'y a plus de recours, essayons de revenir au primordial, à l'élémentaire, à la matière, aux choses. Exemple : Ponge

Claude Simon entretien

>>> Claude Simon (dans notre dossier thématique sur l'arbre)

 

Paul Célan

"L'oeuvre poétique de Celan semble s'inscrire, avant la lettre, contre les thèses d'une prétendue « incommunicabilité » ou « indicibilité » de l'anéantissement. Depuis la fin de la guerre, sa courte vie ne fut qu'une longue souffrance, qu'un chemin douloureux à la recherche des mots pour dire la brisure d'Auschwitz. Sa déportation dans un camp de travail et la perte de ses parents, engloutis dans l'univers concentrationnaire nazi, produisirent une fracture insurmontable dans son existence qui ne put être supportée, pendant vingt-cinq ans, que par un travail forcené d'écriture, par un besoin presque biologique d'expression, au-delà des limites de la langue et des apories de la raison."

extrait de Paul Celan et la poésie de la destruction Enzo Traverso 

>>> Paul Célan (notre dossier)

 

Primo Levi

"Häftling : j'ai appris que je suis un Häftling. Mon nom est 174517; nous avons été baptisés et aussi longtemps que nous vivrons nous porterons cette marque tatouée sur le bras gauche."
Si c'est un homme Primo Levi

Juif, italien, résistant, Primo Levi est interné début 44 à Fossoli puis déporté fin février à Auschwitz. Méticuleux, précis, il décrit le fonctionnement du camp, la vie quotidienne, les astuces pour survivre. Il écrivait déjà mentalement Si c'est un homme lorsqu'il était à Buna-Monowitz -Auschwitz III .

"Levi ne criait pas, n'insultait pas, n'accusait pas, parce qu'il ne voulait pas crier, il voulait beaucoup plus: faire crier. Il renonçait à sa propre réaction en échange de notre réaction à tous. Son raisonnement portait sur la longue durée. Sa modération, sa douceur, son sourire -qui avait quelque chose de timide, de presque enfantin- étaient en réalité ses armes" Fernando Camon

Primo Levi oppose son intelligence à la déshumanisation et à la barbarie des nazis. Si c'est un homme redonne un nom et une voix à ceux qu'il a côtoyé et qui sont morts. "Je le répète: nous, les survivants, ne sommes pas les vrais témoins".

Primo Levi s'est suicidé en avril 1987.

 

Art Point France Diffusion construit à petits pas ses propres ressources biographiques et bibliographiques

Vous pouvez consulter de nombreux dossiers sur les écrivains, les poètes. Vous y avez accès notamment par l'index du fichier "auteur". Dans chaque bibliographie sélective, vous trouvez des ouvrages diffusés par Art Point France Diffusion. >>> s'y rendre

Anselm Kieffer

Peintre allemand, né en 1945 dans le Bade-Wurtemberg, Ansel Kieffer a travaillé auprès de Joseph Beuys, ses œuvres souvent monumentales sont présentes dans les plus grands musées et fondations du monde. Il exerce un travail sur la mémoire. Artiste prolifique, poète, photographe, sculpteur, grand voyageur, il cherche la vérité dans l'Histoire, sans les repères de laquelle l'Homme ne saurait se trouver. "Pour se connaître soi, il faut connaître son peuple, son histoire… j'ai donc plongé dans l'Histoire, réveillé la mémoire, non pour changer la politique, mais pour me changer moi, et puisé dans les mythes pour exprimer mon émotion. C'était une réalité trop lourde pour être réelle, il fallait passer par le mythe pour la restituer".

Kieffer a exposé à la Villa Médicis en mars-avril 2005

>>> Anselm Kieffer (notre dossier)

 
 

Miklos Bokor

Miklos Bokor est un artiste d'origine hongroise installé en France.
Arrêté à 17 ans en 1944 à Budapest, il fut déporté à Auschwitz où la plupart des membres de sa famille furent gazés, avant d'être transféré à Buchenwald et de camp en camp avant d'être libéré en 1945 à Theresienstadt.

>>> Miklos Bokor (notre dossier)

 

Ce qui est nouveau sur le site :

Une présentation du travail en peinture de Louis-Paul Baudot

ainsi que la publication d'un entretien savoureux avec l'artiste "Peindre en jazz" dans notre dossier JAZZ

Toujours dans notre dossier JAZZ, des mythes et des étoiles pour aujourd'hui dans les textes à lire, à dire ou à chanter de Pierre Givodan "Ma vie blanche et noire"

 

Notre annuaire des peintres s'est enrichi de nombreuses pages :

Anne Slacik dont par ailleurs nous présentons les huiles sur papier sur le thème de l'Arbre dans notre dossier "Parmi les arbres que l'on aime..."

Colette Deblé dont les publications sont nombreuses

Jean Le Gac qui disait en 1976 "J'ai compris que si je suis capable d'inspirer une fiction, alors il y aura une preuve de mon existence …"

Muma qui allume des bougies pour la paix

Jean-Pierre Pincemin qui est décédé le 17 mai 2005 à Arcueil.

 

Notre annuaire des auteurs s'est aussi étoffé. Nous vous conseillons les pages sur :

Juan Marse un très grand romancier catalan , et nous ne sommes pas les seuls à le penser.

Albert Cohen l'auteur de Belle du seigneur

 

Zoran Music Nous ne sommes pas les derniers , copyright

Zoran Music

"La peinture devrait être l'expression de ce que l'on porte en soi les yeux fermés". (entretien radiophonique)

C'est entre 1970 et 1975 que le peintre et graveur Zoran Music revient sur le camp de Dachau où il a séjourné de 1943 à 1945. Il grave et peint alors une série intitulée "Nous ne sommes pas les derniers"

voir aussi :

France Culture émission du 12 janvier 2005
le musée Jenisch de Vevey
la galerie Claude Bernard : les oeuvres des années 80

 

La bibliothèque de Buchenwald

"Je jette toujours un coup d'oeil sur les bibliothèques des gens chez qui je suis invité . Il semble que je suis parfois trop cavalier, trop insistant ou inquisiteur, on m'en fait le reproche. Mais les bibliothèques sont passionantes parce que révélatrices. L'absence de bibliothèque aussi, l'absence de livres dans un lieu de vie, qui en devient mortel." Le mort qu'il faut p.80 Georges Semprun éditions Gallimard

C'est ainsi que Georges Semprun nous révèle une de ses façons de concevoir le rapport aux autres et au monde.

Dis-moi ce que tu lis, dis-moi si tu lis et je te dirai ce que tu vises, et ce que tu sais de la vie...

C'est ainsi que l'écrivain, encore jeune homme rescapé de la seconde guerre mondiale et de Buchenwald alors qu'il était "un rouge espagnol" a pu survivre et devenir qui il est à ce jour.

Car il y avait des livres dans ce camp de prisonniers et des écrivains emprisonnés (Maurice Halbawchs, "le maître" de Semprun en était un).

Il y avait aussi la mémoire des poètes dont l'auteur d'aujourd'hui récitait des vers épars : Valéry, Rimbaud, Baudelaire...

"Dis moi ce que tu lis!"

C'est à dire, fais-moi profiter de la vision du monde dont tu t'es enrichi. Fais-moi respirer l'air de la liberté. C'est à dire de la vie de l'esprit. La vraie vie évidemment. Car si "la vraie vie" était ailleurs que dans les camps, elle était cependant accessible au jeune homme lorsqu'il lisait un exemplaire de La Logique de Hegel ou une traduction d'Absalon, Absalon de William Faulkner dans la bibliothèque de Buchenwald.

"Et dis-moi ce que tu lis!"

C'est à dire si tu comprends que l'humanité n'est pas donnée une fois pour toutes. Si tu as l'intuition que rien n'est définitivement acquis de ce qui constitue l'humanité de l'homme.

Si tu sais que toutes les régressions sont possibles, toutes les perversions aussi. Si tu as fréquenté, l'aile de la mort. Si elle a déjà touché ton corps et frôlé ton âme...

Alors je te dirai quel destin t'attend et comment tu te situes par rapport à la vie.

Être à la hauteur de la finitude qui s'annonce très vite par les arrestations, les déportations et les signes des temps.

Être enfin digne de cette vie qui nous appartient la durée d'un instant.

Pierre Givodan

Bibliographie sélective : Georges Semprun

Le grand voyage Folio Galimmard ; L'écriture ou la vie Folio Gallimard 7,13 euros Adieu, vive clarté Le Mort qu'il faut folio Galimmard 3,90 euros

 

Bibliophilie :

édition La Marelle

Le Schibboleth pour Paul Celan Texte de Jacques Derrida monotypes & lithographies originales de Michèle Katz. 100 ex numérotés et signés prix : 626 €

>>> voir l'ouvrage

 

Georges Pérec

« Je n'ai pas de souvenirs d'enfance.»

«Les souvenirs sont des morceaux de vie arrachés au vide.»

«C'est cela que je dis, c'est cela que j'écris et c'est cela seulement qui se trouve dans les mots que je trace, et dans les lignes que ces mots dessinent, et dans les blancs que laisse apparaître l'intervalle entre ces lignes […], je ne retrouverai jamais, dans mon ressassement même, que l'ultime reflet d'une parole absente à l'écriture, le scandale de leur silence et de mon silence : je n'écris pas pour dire que je ne dirai rien, je n'écris pas pour dire que je n'ai rien à dire. J'écris : j'écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j'ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps auprès de leur corps ; j'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture ; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie.»

W ou le souvenir d'enfance Georges Perec

>>> Georges Pérec (notre dossier)

 

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