Juan Marsé

 

 

Juan Marsé est né à Barcelone en 1933. En 1958, il commence à publier des récits dans des revues littéraires et il obtient le prix Sesamo de contes. Marsé n'est pas un écrivain réaliste, son imagination est forte et subtile, ses dons d'écriture sont raffinés, il joue avec la langue et les mots et recrée des mondes impressionnants et tragiques. Pour certains critiques, Marsé est le plus grand auteur espagnol de cette fin de siècle. "Marsé est un des meilleurs auteurs de langue espagnole, son oeuvre a rendu sa dignité au réalisme littéraire en s'ouvrant au langage de la rue et en triturant férocement les lieux communs." Mario Vargas Llosa

 

SEQUENCE 37. CINEMA ROXY.

Intérieur/Extérieur Nuit.

La lumière argentée du projecteur comme un blanc battement d'ailes de papillon traversant les ténèbres du local au milieu des doux flocons de neige qui flottent sur le grand parterre blanc, immaculé et fantomatique.

Et presque désert. Cinq spectateurs distants solitaires avec gants et écharpes de laine engoncés dans de gros pardessus cintrés année 40, deux avec chapeau, trois avec béret jusqu'aux yeux et tous avec de la neige jusqu'aux genoux et sur les épaules. Ils ne bougent pas, recroquevillés et transis de froidd, leurs yeux tristes grands ouverts absorbent spectres et chimères, lumières et ombres d'une autre vie plus intense, plus belle. Autour d'eux se profilent sous la neige les rangées de fauteuils - mais on en voit plus que les dossiers -, l'allée centrale et les allées latérales avec les poêles à bois rouillés, éteints et froids, et en face la scène où pend l'écran fragile au pied duquel la neige tourbillonne et se pelotonne comme un chien des rues qui se couche pour dormir, son épaisseur croît rapidement, déjà elle recouvre les bottes déchirées du jeune vagabond décoiffé hâve debout immobile sac au dos, et qui regarde s'étendre devant lui une mer de boue noire et de neige pure.

extrait de "Le fantôme du cinéma Roxy" p. 58 dans Le Lieutenant Bravo eds Christian Bourgois 2004

 

 

voir aussi : les éditions Christian Bourgois

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Souvent pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur la planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

Charles Baudelaire

 

Le poème de Baudelaire sert d'incipit au roman de Juan Marsé Teresa l'après-midi dont voici les toutes premières lignes.

"Il y a des surnoms qui illustrent non seulement une façon de vivre, mais aussi la nature sociale du monde dans lequel on vit.

Le soir du 23 juin 1956, fête de la Saint Jean, le dénommé Bande-à-part surgit des ombres de son quartier habillé d'un costume de d'été cannelle flambant neuf; il descendit par la route du Carmel jusqu'à la place Sanllehy, sauta sur la première moto qu'il vit à l'arrêt et qui offrait certaines ganranties d'impunité (non pour la voler cette fois, mais simplement pour s'en servir et l'abandonner quand il n'en aurait plus besoin) et se lança à toute vitesse le long des rues en direction de Montjuich..."

L'espace d'un bel été à Barcelone , Bande-à-part, beau garçon audacieux des quartiers pauvres, va se brûler les ailes au soleil de ses désirs. Une intrigue bien mince, pour une histoire cruelle, écrite de main de maître. Un grand roman d'un auteur catalan qui partage avec Proust le talent de dérouler son histoire en l'inscrivant dans un temps immobile.

Tous les textes de Juan Marsé sont magnifiquement traduits en français par Jean-Marie Saint-Lu.

 

Publications

 

 

Adieu la vie, adieu l'amour eds Bourgois 1992 eds du Seuil ;  poche 2004

Lieutenant Bravo recueil de nouvelles eds Bourgois 2004

note de l'éditeur : Il s'agit du premier recueil regroupant l'ensemble des nouvelles écrites par l'auteur. Certaines d'entre elles ont été précédemment publiées en volume, et la plupart ont paru dans différentes revues.

On retrouve dans ces textes ce qui fait le bonheur de lire Marsé : humour, ironie vacharde, tendresse pour les humbles.

La prose est efficace et brillante, adaptée à la rapidité ou à la lenteur du contenu et lui donnant vie. Comme l'a affirmé Manuel Vasquez Montalban, "Marsé a le don de l'adjectivation imprévisible, hétérodoxe, métisse, même, ainsi que la capacité de décrire un corps humain et sa conduite à partir d'un geste ou d'un trait physique". Ces nouvelles sont de parfaites illustrations de l'art du romancier selon Juan Marsé : "avoir une histoire à raconter, savoir la raconter, avoir envie de la raconter.", et à coup sûr, les meilleures passerelles pour accéder aux grands romans de cet écrivain.

Boulevard du Guinardo eds Bourgois 1990 eds du Seuil  poche  2002

Des lézards dans le ravin eds Bourgois 2001 eds Seuil   poche 2002

Teresa l'après-midi eds Bourgois 1993 eds du Seuil  poche 1998

Un jour je reviendrai eds Bourgois 1997 eds du Seuil poche 1998

L'etrange disparition de r.l. stevenson eds Climats

Le fantome du cinema roxy

Enfermés avec un seul jouet eds