Jean-Michel Maulpoix

Né à Montbéliard, le 11 novembre 1952, Jean-Michel Maulpoix est l'auteur d'ouvrages poétiques et d'études critiques sur Henri Michaux, Jacques Réda, René Char, ainsi que d'essais généraux de poétique (entre autres : La Poésie malgré tout , La poésie comme l'amour et Du lyrisme ). Son écriture, où dialoguent sans cesse prose et poésie, se réclame volontiers d'un « lyrisme critique ». Jean-Michel Maulpoix dirige la revue trimestrielle de littérature et de critique Le Nouveau recueil (éd. Champ vallon)
Il enseigne la poésie moderne et contemporaine à l'Université Paris X - Nanterre. Il a été président de la commission d'aide à la création poétique du Centre national du Livre jusqu'en mars 2003.
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Il taille, il coupe, il accentue.
On le croise au jardin. A l'heure de brouillard. Ou plus tard dans la chambre. Ici et là, les mêmes gestes. Des chutes ou des bouquets de phrases. Parfois il retourne la terre. En mottes noires et brillantes. Des strophes pourrait-on dire. De brefs paquets de prose.
Il taille, il coupe, il accentue.
A la plume. Au couteau. Au sécateur. Aux ciseaux. Au plantoir. Au cordeau. Dans le jardin de Jean Tortel ou dans le pré de Francis Ponge. Ecrire est une affaire de main. Il taille dans le noir. Il découpe les ténèbres.. Il voudrait y voir clair. Dans cette langue dont on ne sort pas.
Il taille, il coupe, il accentue.
Il borde et déborde nos phrases. Il marche sur la grève à la frange de l'eau. Ou vers l'à-pic de la falaise. Sur la terre comme au ciel toujours sur un fil. Prêt à se jeter dans le vide. Désireux de voir la limite. Ce qui nous lie et nous sépare. Ce qui nous garde suspendus.
Il taille, il coupe, il accentue.
Dans l'entre-deux qui est le nôtre. Dedans-dehors. Une page. Une peau translucide. Ce sont toujours de frémissantes surfaces. Un ventre de femme où dort un enfant. Y coller l'oreille. Y poser la bouche.
Il taille, il coupe, il accentue.
A la finitude il prodigue ses soins. Il aime ces mourants que nous sommes. Avec douceur. Avec effroi. Il voudrait rassurer un peu cette agonie. De fleurs ou de musique. « Voici mon cour » dit-il. « Ne le déchirez pas ».
Il taille, il coupe, il accentue.
Quoi d'autre ? Ce travail-là n'en est pas un. Il ne rapporte pas. Il ne remplira pas son outre de vin, son panier de fruits, non plus que sa besace. Il y donne de son temps. Le monde change de figure. Autrement métré et coordonné.
Il taille, il coupe, il accentue.
Il tisse un habit de haillons. Nous revêt de toiles d'araignée. Un habit qui ne dissimule pas la nudité. Qui montre que le corps a froid.
Il taille, il coupe, il accentue.
Autrefois debout. A présent penché. Son dos se voûte. Il regarde dans le jardin des combats de fourmis. Il ne tient plus tête à ses astres.
Il taille, il coupe, il accentue.
Il aurait bien voulu planter. Mais la terre est trop froide. La saison trop tardive. D'ailleurs il se pourrait qu'en dépit de ses soins l'ancien jardin redevienne un morceau de terre aride. Un roncier impénétrable.
Il taille, il coupe, il accentue.
Tant d'autres dont la sourde oreille. Et vivent les yeux fermés.
Dans L'interstice (extrait) eds Fata Morgana 1992
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Extrait
"Le lyrisme ne se résigne pas. Jusqu'à l'heure de notre disparition, il se souviendra que nous avons rêvé. Eperdument, dans les surfaces, il recreuse de la profondeur. Depuis toujours, il recommence lorsque " la voie droite " (Dante) est perdue. La crise est son temps, son espace. Crises de vers ou crises de sens, nos affaires de langue vont par lignes brisées. Rythmées d'envols et de chutes, comme nos histoires de cour. Moins transportées par le souffle qu'aspirées par des trous d'air. Des trous qu'il s'agit de reconnaître nôtres. En prenant la mesure du défaut que nous sommes. Puisque " nous sommes nés troués " ( Michaux ). "
extrait de La poésie n'est pas une maladie honteuse
Article paru dans le numéro de mars 2001 du "Magazine littéraire".
Publications
Poésie & Prose
Pas sur la neige , Mercure de France, 2004.
Chutes de pluie fine , Mercure de France, 2002.
L'instinct de ciel , Mercure de France, 2000.
Domaine public , Mercure de France, 1998.
L'Ecrivain imaginaire , Mercure de France, 1994
Une Histoire de bleu , Mercure de France, 1992.
Dans l'interstice , Fata Morgana, 1992.
Portraits d'un éphémère , Mercure de France, 1990.
Précis de théologie à l'usage des anges , dessins d'Alecos Fassianos, Fata Morgana, 1988.
Ne cherchez plus mon cour , POL, 1986
Emondes , première édition Solaire, 1981 & Fata Morgana, 1986.
Dans la paume du rêveur , Fata Morgana, 1984.
Un dimanche après-midi dans la tête , P.O.L, 1984 & Mercure de France 1996 (édition nouvelle).
La Parole est fragile , Imprimerie de Cheyne, Le Chambon sur Lignon, 1981.
CD
Dans l'interstice , CD, 2004
Lecture intégrale par l'auteur d'un livre publié en 1991 aux éditions Fata Morgana, accompagnée de ponctuations musicales : quelques extraits, puis la pièce entière Rain tree sketch II de Toru Takemitsu, joués au piano par Laure Helms. Durée : 25' 26''
Pour écouter un extrait
http://www.maulpoix.net/CD.htm
Essais critiques
Adieux au poème , éditions José Corti, mars 2005.
Le poète perplexe , éditions José Corti, février 2002.
Du Lyrisme, éditions José Corti, 2000, 446 pages.
Henri Michaux, peindre, composer, écrire , éditions Gallimard, 1999.
La poésie comme l'amour , Mercure de France, 1998.
Henri Michaux, corps et savoir , E.N.S éditions, 1998 (en collaboration)
Poétique du texte offert , E.N.S éditions, 1996 (en collaboration)
« Fureur et Mystère » de René Char , Gallimard, 1996.
La poésie malgré tout , Mercure de France, 1995
La Littérature française depuis 1950 , Hatier, 1991 (en collaboration)
Léon Zack ou l'instinct de ciel , La Différence, 1991.
La Voix d'Orphée , José Corti, 1989.
Jacques Réda, le désastre et la merveille , Seghers, 1986
Henri Michaux, passager clandestin , Champ vallon, 1985.
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