Gilles Ortlieb

 

Gilles Ortlieb est né le 20 mai 1953 à Ksar-Es-Souk (aujourd'hui rebaptisé Er-Rachidia), au Maroc. "Rentré" en France dans les années soixante, il fait sa scolarité au pensionnat du lycée Michelet, à Vanves, puis des études de Lettres classiques à la Sorbonne avant d'obliquer vers l'étude du grec moderne à l'Institut des langues orientales. Il vit de travaux divers (marionnettiste, gardien de nuit, traducteur indépendant, enseignant, etc...) avant et après son service militaire en Allemagne puis il entreprend de nombreux voyages vers la Grèce et en Méditerranée. Ses premiers textes sont publiés dans la N.R.F. en 1977. Entré dans les services de traduction de l'Union Européenne en 1986, il vit depuis lors à Luxembourg, sans désespérer tout à fait d'arriver à s'en échapper un jour. Poète et merveilleux prosateur, il est un des écrivains les plus marquants de notre catalogue et collabore à de nombreuses revues (L'Animal, Légendes, La Nouvelle Revue Française, Théodore Balmoral...). Il est aussi traducteur de Constantin Cavafy, de Frank Wedekind, de Georges Séféris et de Mikhaïl Mitsakis.

 

Extrait

"Commencer peut-être par la fin, puisque c'est par son dernier roman publié, cet Enfant roi paru une bonne douzaine d'année après la mort de son auteur, que j'ai été amené à découvrir, puis à arpenter cette ouvre rare, à laquelle ne conduisaient que d'étroits sentiers déjà un peu anciens et peu fréquentés, mais à qui il suffit de quelques promeneurs, de temps à autre, pour ne pas disparaître tout à fait, pour que le tracé en reste visible. Sans doute les aurais-je d'ailleurs fatalement empruntés tôt ou tard. Ne serait-ce que parce que Jean Forton appartient évidemment à la famille des Raymond Guérin (dont il a préfacé La Peau dure ), Jean Reverzy, Georges Hyvernaud, Henri Calet (en moins affranchi) ou Paul Gadenne (en moins appliqué), bref à cette lignée d'écrivains qui doivent compter sur un noyau variable d'admirateurs plutôt que sur de volumineux tirages, auxquels il peut arriver de figurer sur les listes des prix littéraires, mais comme par inadvertance et rarement jusqu'à la consécration, dont la réputation infuse lentement sans jamais se convertir en célébrité, et que les manuels et histoires de la littérature rangent habituellement, lorsqu'ils n'omettent pas de les mentionner, au nombre des auteurs "mineurs" ou "méconnus", en se bornant parfois à regretter qu'ils soient "injustement oubliés". Les noms précités (la liste n'est pas exhaustive) finissent à la longue par former une sorte de clan, un peu disparate, mais à qui certains traits suffiraient à donner, sur quelque très improbable photo de groupe, un indéniable air de parenté : tous ou presque se sont, de leur vivant, tenus à l'écart des coteries et réseaux d'influence, ils vivaient souvent en province, ne se réclamaient d'aucune école, n'ont pas davantage envisagé d'en fonder, et avaient sans doute déjà assez de mal avec leur ouvre propre pour songer, en plus, à la promouvoir dans le monde. »

Sept petites études eds Le Temps qu'il fait

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"Sortir une première fois sur le balcon, en pleine nuit (quelle heure était-il : deux, trois heures ?), le plafonnier de la cuisine projetant une ombre immense sur le gravier de l'arrière-cour. Puis une deuxième fois vers six-sept heures, dans le jour désormais levé : plus d'ombre, plus rien, évidemment. A l'image des cheminements et projections nocturnes, dissipés ?"

extrait de "Sous le crible" Rehauts n°17 p.94

 

 

 

 

Publications

Meuse Métal, etc (2005) poèmes

Hôtel du Centre

que son patron, croyant sûrement bien faire,
a décoré de quelques gravures signées Hergé :
Tintin et Milou casqués, en combinaison orange,
s'avançant à la rencontre de leurs ombres jetées
sur le sol lunaire, le capitaine Haddock s'élevant
dans les airs accompagné d'un imposant point
d'exclamation, etc. - dans cette chambre, donc,
montent parfois, aussi haute soit-elle, des rires
et des relents de friture, qui précisent à la fois
une présence et son usure; à l'image de la robe
de mariée usagée suspendue, la nuit dernière,
sur une façade rose thé, noces crépusculaires.

Carnets de ronde (2004)

Notre monde quotidien (vu des « parties du globe les plus ennuyeuses et les plus grises », comme dit Ivar Lo-Johansson, ce qui dans le monde nous échappe sans cesse est là, soudain rendu à une intense présence par le regard tour à tour tendre et caustique de Gilles Ortlieb. Rien que de l'ordinaire en somme, mais éclairé, enluminé par le style perçant de ce grand noteur qui publie son septième livre à nos éditions.

Sept petites études (2002)

Sur Emmanuel Bove, Constantin Cavafy, Jean Forton, Charles Cros, Henri Thomas, Odilon-Jean Périer et sur la traduction.

La paire de chaussures (hors-commerce, 2000)

La nuit de Moyeuvre (2000)

« À Fontoy, n'ai-je pas entendu le serveuse d'un bistrot déclarer fièrement : "Moi, c'est Lucie. Tu penses à Lucifer, tu peux pas oublier...".Et ç'avait été presque trop beau, cette Lucie de la vallée du fer, qui balançait en souriant sa jambe sur un tabouret. Mais il y eut aussi, dans un bar-tabac près de la rue des Trois-Pierrots, à Homécourt, cet homme sans âge qui avait lancé à la patronne, en même temps qu'une pièce de cinq francs :"Tiens, mets-moi de la musique, mais des belles chansons, hein, pas des tristes...»

Gibraltar du Nord (1995)

"Une fois la nuit venue, l'oisiveté trace mieux ses cercles, les enseignes lumineuses suffisent à nous tirer plus loin, toujours un peu plus loin, sans que l'on confonde jamais les rues et les places qui pourtant se ressemblent. Comme une goutte de pétrole sur une flaque d'eau, les pensées de nuit gagnent et s'étalent, prennent bientôt toute la place, et on peut croire inépuisable la liberté d'aller et de venir, de suivre le flot des passants, de s'attarder devant les vitrines, de grappiller les dernières lumières comme autant de vérités révélées, d'aller s'asseoir quelques instants sur les bancs d'une église entrouverte, puis de ressortir, de marcher encore, se laisser porter plutôt, l'esprit jugulé et débridé tour à tour par la fatigue et la culbute inlassable des sentiments jusqu'à ce l'heure tinte à un clocher voisin, un peu fière, un peu lasse, comme une capitulation, et nous décide enfin à rebrousser chemin "

Soldats et autres récits (1991)

L'année perdue et les chambrées d'un service militaire en Allemagne, un pèlerinage laïque et solitaire au Mont Athos, des séjours recommencés - au-devant de quelle vérité ? - dans diverses chambres d'hôtel et, enfin, les rues de Marseille arpentées un hiver jusqu'à satiété : ainsi pourrait-on résumer les cinq récits rassemblés ici. Mais au-delà des situations et des personnages entrevus, c'est surtout une présence qui finit par s'imposer, à la fois attentive et désenchantée, avec ce détachement apparent et cet effacement de soi qui permet de dire les silences d'ordinaire négligés, les sensations infimes et les doutes diffus, et quelques anecdotes touchantes à l'extrême par leur dénuement même.


Petit-Duché de Luxembourg (1991)

Les « circonstances » de la vie (mais sait-on toujours ce qu'elles recouvrent ?) nous amènent parfois à vivre dans des lieux, des villes que nous n'aurions sans doute jamais choisis. Plus brusque le dépaysement, plus sévère la leçon. S'il ne nous restait, malgré tout, une salutaire curiosité, et la ressource de regarder autour de soi; encore et encore, jusqu'à ce que l'autour-de-soi finissse par devenir sinon transparent, du moins reconnaissable et familier. Affranchi, par imprégnation, de l' étranger . Quand bien même (il ne faudrait pas l'oublier) l'étranger est d'abord, et uniquement, celui qui se trouve là et regarde.

Chez d'autres éditeurs :
L'Arbre-Serpent, contes populaires grecs. (Bordas, 1982)
Brouillard journalier (Obsidiane, 1984)
Poste restante (La Dogana, 1997)
Place au cirque (Gallimard, 2002)
Les Tramways de Bruxelles (Théodore Balmoral, 2002)
Au grand miroir (Gallimard, 2005)