Valérie Rouzeau
Valérie Rouzeau est née en 1967 dans la Nièvre.
Elle tâche dit-elle de "vivre en poésie" . Traductrice, elle anime des lectures publiques, des ateliers dans les classes.
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Entretien
Valérie Rouzeau a émis le souhait de vivre en poésie. Depuis la publication de Je trouverai le titre après en 1984 et la création d'une revue éphémère, Le Squelette laboureur (Nevers, 1990-1991), elle y est parvenue. Admettons qu'elle est obstinée. Elle fréquente les hôtels, les gares, les écoles et les ateliers d'écriture plus que cet appartement parisien où elle écrit. Sa vie pourtant est là, sous la surveillance des poissons Louise Lame et Tango, dans l'écriture, la traduction. C'est son travail et il semble que cela soit pour elle la seule activité naturelle. En cela, pas de pose chez cette trentenaire dont la simplicité deviendra légendaire tout comme le succès de son Pas revoir épuisé en moins d'un an. Elle y faisait le deuil de son père. Son émotion, sa langue singulières ont marqué ses lecteurs. Le bouche-à-oreille a rempli son office : Valérie Rouzeau est désormais une voix importante de la poésie française contemporaine. Une telle affirmation est d'autant moins gratuite que la parution du remarquable Neige rien l'étaye à nouveau.
D'une veine nouvelle, il s'y impose la voix d'une grande poète. Neige rien est composé de petits poèmes montés sur ressort -des diablotins jaillissants, rudes ou enjoués. Ils sont imprimés en rouge parce que la poète est en pétard. Elle le dit dans une langue très ramassée, élastique mais nerveuse. Allitérations, polysémies, jeux de sonorités et de sens, elle use d'un langage retourné à l'infinitif de l'apprentissage de cette sacrée "saint Axe". Ça swingue comme sur un ring, ça syncope pour exprimer les violences du "monde comme il ne va pas". Valérie Rouzeau s'est mise hors d'elle en renonçant pour cette fois aux territoires du "je". Sur ce terrain inédit, Neige rien avance avec une assurance qui n'oblitère pas tout le désarroi de la poète. Valérie Rouzeau a vu rouge certes, mais elle reste alarmée.
Pas revoir vient d'être réimprimé moins d'un an après sa parution, succès exceptionnel pour un livre de poésie. À quoi attribuez-vous cet accueil?
Tout est parti de l'article d'André Velter dans Le Monde et des deux émissions de radio que l'on a fait ensemble. L'an dernier, les gens venaient au Marché de la poésie avec son article. Ensuite, il y en a eu beaucoup d'autres et ma façon de vivre, le fait que j'aille de lectures en lectures, d'école en école pour des ateliers a favorisé les ventes. Dans certains établissements les centres de documentation commandent jusqu'à vingt exemplaires pour que les enfants puissent lire mes poèmes avant mon passage.
La publication de vos traductions de Sylvia Plath et de William Carlos Williams signalent l'importance de cette activité pour vous. Comment y êtes-vous venue?
J'ai fait une maîtrise de traduction à la fac de Tours. Comme je n'avais pas envie de me farcir un mémoire complet et que je ne me sentais pas capable de parler sur cent pages d'un auteur, j'ai proposé à mon prof de traduire un recueil inédit de Sylvia Plath. La publication de cette traduction dans la collection Poésie Gallimard a été une heureuse surprise.
Que vous apporte la traduction?
Lorsque j'avais des pannes d'écriture, je traduisais pour écrire quand même. En ce moment je traduis Ted Hughes et je m'aperçois que ce sont des poèmes que j'aurais aimé écrire. Cela ne s'est jamais produit avec Sylvia Plath. Je l'admire mais je m'en sens à mille lieues. Avec Hughes, j'ai enfin l'impression de traduire pour le plaisir de traduire. J'ai un boulot monstre avec lui, j'en ai pour longtemps. La plupart de ses poèmes se servent de l'animal pour dire un tas de choses sur l'homme. Ce sont des poèmes très forts, musclés, très physiques. Ils m'accompagnaient quand j'écrivais mon Bestiaire le matin, l'après-midi je traduisais le sien. Mais il y a eu mon déluge ici (un dégât des eaux qui a détruit le manuscrit en question, ndlr), du coup, il n'y a plus que lui pour les bestioles parce que je suis partie à écrire tout autre chose.
Neige rien marque un tournant dans votre écriture par le choix d'un sujet extérieur. S'agit-il d'aborder le monde avec les mots?
C'était la grande question que l'on se posait lorsqu'on a passé une nuit entière, Antoine Emaz, Jean-Pascal Dubost et moi, à parler de la façon que l'on a de se débrouiller avec le dehors, les autres, le monde extérieur tel qu'il ne va pas. C'était le souci d'Antoine qui était en train d'écrire Soirs justement, une sorte de faux journal où il intègre dans son quotidien les nouvelles du monde à l'arrache-pied. Il aimait beaucoup Pas revoir mais il m'a dit: "Valérie, après ce livre, il faut que tu sortes de toi". Je l'ai fait. J'imaginais mal d'utiliser la subjectivité, de me mettre hors de moi. La colère on en a... c'est pourquoi j'ai voulu que le livre soit imprimé en rouge. Voir rouge, le rouge de la colère et des graffitis.
Ce sont également les "griefs en rouge" des professeurs...
Le professeur qui est aussi un censeur. Il corrige dans tous les sens du terme. C'est la correction. Comme disais Jaccottet : "instruits au fouet". Tiens, je cite Jaccottet!? Je l'ai tellement lu que j'en suis imprégnée.
S'il y a de la colère dans ce livre, on y trouve aussi beaucoup d'affection pour le genre humain.
La colère est tournée contre le fait qu'un P.D.-G. va gagner en un mois ce que ses ouvriers gagnent en dix ans. Elle est là mais je ne peux pas l'écrire comme ça. Ça ferait un tract ou un slogan. Dans Neige rien, il faut entendre aussi "N'ai-je rien". Il n'y est question que de gens démunis.
Comme Pas revoir, Neige rien possède un rythme bien particulier. D'où vient-il?
Neige rien est un livre beaucoup plus travaillé que Pas revoir qui est sorti tel quel avec ses mots coupés. J'avais en fait les rythmes avant d'avoir les mots. En allant à pied au cimetière.
Verbes à l'infinitif, mots déformés, on retrouve un peu du langage des enfants dans vos poèmes.
La mort de mon père m'a peut-être libérée d'un tas de choses. Disons qu'auparavant je me privais de certains moyens tout en admirant des écritures audacieuses. Je ne m'interdis plus grand-chose en fait. Dorénavant je sais que la vie est courte, qu'il faut dire le plus de choses. J'aurais voulu tout dire en un poème.
Neige rien
Valérie Rouzeau
Editions Unes
Entretien rédigé par Eric Dussert pour Le Matricule des Anges
Vendredi 5 avril 2002
Une voix nouvelle
Valérie Rouzeau : une mélodie entêtante
En poésie, une voix nouvelle, ce n'est pas rien. Une voix vraiment nouvelle qui ne ressemble à aucune autre. Une voix qui se reconnaît au premier signe, au premier souffle, que l'on entend une fois pour toutes, et à chaque fois une fois pour toutes, comme personne. Depuis quelques temps ce prodige a un nom : Valérie Rouzeau. Et c'est un prodige qui dure.
La publication en 1999 de Pas revoir * avait aussitôt fait événement, alerté plusieurs milliers de lecteurs, multiplié les récitals de l'auteur. Un an plus tard, Neige rien ** avait laissé la marque indélébile de textes écrits au rouge, à fleur de peau et de sang.
Aujourd'hui, avec Va où ***, recueil maîtrisé jusque dans ses hésitations, naïvetés et maladresses contrôlées, Valérie Rouzeau s'impose puissamment, bien que tout en fragilité et légèreté sonore.
Cette nouvelle suite de poèmes s'apparente d'ailleurs à une composition. Elle s'écoute autant qu'elle se lit. Il y a là un long lamento qui dit un amour impossible, mais sans durablement se lamenter. Un cri de solitude qui rit de se voir si seul en son désespoir. Un élan obstiné à transcrire de la douleur de femme avec les mots incertains et démunis des chagrins d'enfant.
3Si j'avais les jours à compter je marquerais soir après soir mes petites croix de récompense Je tiendrais des mois des saisons mon calendrier de forçat mon agenda de pénélope Ça ne me ferait ni chaud ni froid juillet janvier en solitaire je traverserais les années Si grand d'amour était en vue ou à revenir quel beau jour je l'appellerais mon cher Ulysse et puis je choisirais la danse plutôt que la tapisserie3
Mais soudain " l'ancienne gaieté se met à mugir ", la joie déferle sans prévenir, la litanie s'envole : la passion est là, l'amour s'incarne, les mêmes rythmes passent par le tamis du plaisir comme si la vie accédait à la vraie vie, avec en prime un tour dans le lexique de Rimbaud (Gaie de la vie m'en va de flache en flache et n'en rate pas une ça mène à l'infini).
À l'infini vraiment ? Alors on se demande : elle va où Valérie Rouzeau avec ce titre qui vole deux syllabes à son nom ? À l'évidence très loin, très haut et pour longtemps : une voix comme celle-là ne peut que s'inventer mille échos, y compris chez les anges (les bons et les mauvais) et chez les oiseaux (à quelques rapaces près).
Car de ce livre émane un charme subtil, tonique, presque entêtant. Un envoûtement qui tient à ce vocabulaire bousculé, jazzé en douceur, jusqu'à créer une ligne mélodique impossible à oublier. Chaque vers se déploie comme une phrase musicale qui, en plus de ses syllabes, n'en finit pas de compter ses résonances. C'est par là que cette poésie, profondément originale et singulière, en vient à croiser le chant de la grande tradition qui va de Louise Labé à Catherine Pozzi via Marceline Desbordes-Valmore. Ironie et désinvolture en plus : " J'aurai terminé ma complainte mis mes bons points dessus mes i le temps et le hola là-haut ".
* Éditions Le Dé bleu
** Éditions Unes
*** Le Temps qu’il fait
Le Monde des Livres
Vendredi 5 avril 2002
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Poésie
Je trouverai le titre après, Chambelland (Le Pont sous l’Eau), 1989
À tire d’elle, La Bartavelle, 1989
À cause de l’automne, supplément Polder n°62, revue Décharge, 1991
Petits poèmes sans gravité, Prix de la Crypte 1991, La Crypte, 1991
Chantier d’enfance, La Bartavelle et Le Noroît (Québec), 1992
Patiences, Albatroz et Le Manège du Cochon Seul, 1994
Ce n’est pas le printemps, Traumfabrik, 1995
Pas revoir, Le Dé Bleu, 1999 ; rééd. 2000, 2002 et 2003 (Prix des Découvreurs 2000)
Neige rien, Unes, 2000
Une foule en terre foulée, avec Michel Nedjar, Travioles, 2001
Va où, Le Temps qu’il fait, 2002
Le monde immodérément, avec Lambert Schlechter, Nuit Myrtide éditeur, 2004
Kékszakallu, Les Faunes éditeurs, 2004
Récipients d’Air, avec Vincent Vergone, Le Temps qu’il Fait, 2005
Essai et varia
Sylvia Plath, un galop infatigable, Jean-Michel Place, 2003
L’Arsimplaucoulis, délice des Carpates, avec Éric Dussert, Fornax, 2003
Préface de Neige exterminatrice, poèmes de Christian Bachelin, Le Temps qu’il Fait, 2004
Traductions
La Traversée in Arbres d’hiver, de Sylvia Plath, poésie/Gallimard, 1999, 2000
Électre sur le chemin des azalées, de Sylvia Plath, Unes, 1999
Le Printemps et le reste, de William Carlos Williams, Unes, 2000
Je voulais écrire un poème, de William Carlos Williams, Unes, 2000
Publications diverses
A publié des poèmes et des articles dans diverses revues dont L’Insolent, Décharge, Travers, Poésie 98, Triages, Propos de Campagne, Plein Chant, La Polygraphe, Arcade (Québec), Petite, La Sape, Neige d’août, Duelle, Ecrit(s) du Nord, L’Atelier contemporain, La Quinzaine littéraire, Rehauts, Formes poétiques contemporaines, L’Alambic, Le Barbecue, Atelier (Italie) etc.
Rédactrice en chef de la revue trimestrielle Dans la lune depuis mai 2004.
Anthologies
L’Érotisme dans la poésie féminine de Pierre Béarn , Pauvert, 1993
15 ans de Rencontres pour Lire de François de Cornière, Isoète, 1995
Le Corps certain, Poésies 1990/2000, sous la direction de Pascal Boulanger, Comp’Act, 2000
Une anthologie de poésie contemporaine francophone de Zéno Bianu , Poésie-Gallimard/ CNDP, février 2002 ; rééd. décembre 2002
20th Century French Poems de Stephen Romer, Faber & Faber, mai 2002
Les Singularités du pluriel, cent un poètes, cent un éditeurs de poésie (1967-2003) par Jean-Pierre Sintive, Médiathèque la Durance, ville de Cavaillon, avril 2003
Quatorze Poètes : anthologie critique et poétique Prétexte éditeur, 2004
Passeurs de Mémoire, De Théocrite à Alfred Jarry, la poésie de toujours lue par 43 poètes d’aujourd’hui, édition de Jean-Baptiste Para, Poésie/Gallimard, 2005
Métamorphoses, Petite Fabrique de Poésie, Jacques Perrin, Seghers et le Printemps des Poètes, 2005
Extraits
Toi mourant man au téléphone pernoctera pas voir papa.
Le train foncé sous la pluie dure pas mourir mon père oh steu plaît tends-moi me dépêche d’arriver.
Pas mouranrir désespérir père infinir lever courir –
Main montre l’heure sommes à Vierzon dehors ça tombe des grêlons.
Nous nous loupons ça je l’ignore passant Vierzon que tu es mort en cet horaire.
Pas mourir steu plaît infinir jusqu’au couloir blanc d’infirmières.
Jusqu’à ton lit comme la loco poursuit vite vers Lyon la Part-Dieu.
Jusqu’à ton front c’est terminé tout le monde dans la petite chambre rien oublier.
Valérie Rouzeau, in Pas Revoir, L’idée bleue, 1999.
Villanelle d'un vieux papa
Valérie Rouzeau
J’avais fini mes haricots
L’écuelle sous l’ampoule grillée
J’attendais de vivre bientôt
Mes ancêtres dans leurs sabots
Trépignaient depuis le passé
J’avais fini mes haricots
Et je buvais un noir pinot
A leur mémoire à ma santé
Espérant de vivre bientôt
J’étais le dernier des idiots
Ou le premier si vous voulez
J’avais fini mes haricots
Le front collé sur le carreau
Enfin de ma nuit relevé
J’attendais de vivre bientôt
Ici s’arrête ce lamento
Ou mes enfants vont me siffler
J’avais fini mes haricots
J’attendais de vivre bientôt
Si J'avais les jours à compter je marquerais soir après
soir mes petites croix de récompense
Je tiendrais des mois des saisons mon calendrier de
forçat mon agenda de pénélope
Ca me ferait ni chaud ni froid juillet janvier en
solitaire je traverserais les années
Si grand d'amour était en vue ou à revenir quel beau jour
je l'appellerais mon cher Ulysse et puis je choisirais
la danse plutôt que la tapisserie
Je bouserais les mauvais génies en faisant jazzer mon
seul coeur
Je mettrais le chagrin en boîte avec un jeu de mots facile
Je trangerais l'éternité pour en découdre avec les nuits
tchatchatchatcherais jusqu'au matin dans une autre
histoire aussi vrai si j'avais de quoi de l'espoir
Va où, Le Temps qu’il fait, 2002 (extrait)
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