Emmanuel Laugier
Une figure hante cette trilogie d'Emmanuel Laugier, une figure qui va se démultipliant. Une figure d'homme, simple enveloppe flottante : de " grands manteaux sombres ", des " cabans longs ", des " têtes avec chapeaux bien enfoncés ". Ces " feutres bas / et chapeaux mous sur la tête " avancent, arrivent de partout à la fois sans qu'on les entende vraiment. Anonymes, " ils investissent / et habitent les yeux / crèvent les oreilles crèvent / l'ouïe ", ils nous font ce que nous sommes : maigres, petits, malvoyants, recroquevillés dans notre peur de la mort, vidés d'air et pourtant si verbeux ! Ombres déjà. Comme eux. On leur doit d'être. Pourtant. Mais dans l'asphyxie. C'est de cela qu'il faut s'arracher. Se défaire, comme on décollerait un masque, pour qu'un peu d'air lave les peaux mortes d'un visage en attente. Fuir, loin des mains qui émergent des longs manteaux. Ou glisser entre leurs doigts. Se sauver. Se trouver. Trouver l'issue dans la langue puisque c'est de là qu'ils tiennent leur pouvoir. Et trouver enfin du corps. Il est difficile de citer ces longs textes, ces longues coulées, cette lave sans cesse aux prises avec un sol cahoteux. D'où ces points, ces tirets, quand ce ne sont pas des slashs qui coupent et relient dans un bord à bord rugueux les mots entre eux. D'où ces enjambements et ces rejets, ces reprises, ces répétitions tronquées, ces décalages, ces sauts, ces accélérations, ces glissandos. Et tout ce blanc. Au milieu. Rayé. Biffé. Marqué. Tatoué du cerne noir des mots. Si on a l'impression parfois de ce que décidément ce n'est pas possible, on n'arrivera pas au bas de la séquence, c'est qu'on a mal évalué la pente - le réel toujours défait nos pauvres estimations ! - on respire mal, on halète. Pourtant l'air, cette " lame " chez Emmanuel Laugier, cette " blanche lame de souffle ", finit par passer. Et c'est le cour qui bat au bord des lèvres de " la montagne noire ", c'est lui qui va " en soi-même glisser ". La langue d'Emmanuel Laugier est bien la nôtre mais telle qu'elle sourd, modelée, rythmée par les défilés du corps, rendue orageuse par les barrières qu'il est capable de dresser. Imprévisibles. Après la retenue, le débit s'amplifie. Les mots giclent, bouillonnent, écument. L'important, on le sent bien, c'est cette force qui les pousse, les précipite, les roule. Cela qui passe et se perd entre les mots, entre les lignes, entre les pages. Il y a une dynamique expressive chez Emmanuel Laugier qui engage une lecture comme une marche sur un chemin mal empierré, un chemin où affleureraient en cargneules pénitentes quelques pierres ruinées. C'est cela qui émeut. Trouble : la poésie non plus comme un écrit, création plus ou moins bien assurée d'un objet verbal, mais comme un acte, un moment de l'existence en mouvement vers son sens, un essai " de passer à travers ", une tentative de " faire / au moins faire / un dégagement ". Pas comme on tape en touche mais loin devant. Pour se donner de l'air. Celui qui passant dans la flûte des vertèbres rendra ce son. Celui de l'homme. Sa chance. Alain Freixe dans le journal l'Humanité avril 2003
car ensommeillé - et encore
voir aussi : les éditions Didier Devillez Belgique le dossier de Remue Net |
Bibliographie sélectiveRéverb’ Poèmes inédits d’Emmanuel Laugier, accompagnés de 7 aquarelles originales de Marie Alloy éd. Le silence qui roule Hante ton aisselle au bout de quoi poème inédit d’ Emmanuel Laugier, accompagné de 16 aquatintes en couleurs d’1m de longde Marie Alloy, et 1 dessin original de l’auteur éd. Le silence qui roule Dans l’écart Collectif, ill. de Marie Alloy. éd. Le silence qui roule (diffusion Art Point France)
Publications
- Suivantes eds Didier Devillez, 2004 - Tout notre aer se noirci & Du Bartas, La Sepma ine , éditions 1 : 1, 2003 Poèmes dans l'anthologie franco-croate "or - que cela - Mars poetica , co-édition Le temps des cerises, Le Printemps des poètes, 2003 - Portrait de têtes , Éditions Prétexte, 2002 mais du pas qui annule en avançant note de l'éditeur : Cinquième livre de poésie d'Emmanuel Laugier, Portrait de têtes vient poursuivre et clore un cycle de trois ouvrages poétiques, dont les deux premiers volumes sont parus chez Didier Devillez éditeur (Son corps flottant, 2000 et Vertébral, 2002). De fait, la résonance des titres prend toute sa mesure : le corps, depuis son enveloppe flottante, en passant par sa colonne vertébrale, jusqu'à sa tête... - Vertébral , eds Didier Devillez, 2002 - Son / corps / flottant , eds Didier Devillez, 2000 - L'Oil bande , eds Deyrolle, 1997 Poésie variations T3, huit études sur la poésie contemporaine, sous la direction de Lionel Destremau et Emmanuel Laugier, eds Pretexte 2004 10,45€
Livres d'artistes Hante ton aisselle.. gravures de Marie Alloy - éditions Le Silence qui roule, 1998 Rapide Vif très rapide (en collaboration avec Florence Farrugia - éditions De, 1998 Reverb ' éditions Le Silence qui roule, 1998 |