Maurice Benhamou
Une esthétique sensitive Jean-Jacques Rousseau médita longtemps sur un ouvrage intitulé "La Morale sensitive" qu'il ne fit pas. De l'esthétique qui fonde l'art d'Anne Slacik on pourrait dire de même qu'elle est sensitive. Cela ne signifie pas que cette peinture soit instinctive. Elle est au contraire profondément réfléchie. Mais la pensée qui s'y exerce est une pensée plastique. Intégrée à la peinture et non distincte d'elle ni déductible en concepts. Comme la fleur nommée "sensitive" qui se rétracte au moindre toucher et dont Fontenelle assurait qu'elle a plus d'âme ou une âme plus fine que les autres, les tableaux d'Anne, plus sensitifs que sensuels, semblent sentir qu'un regard se pose sur eux. Ils frémissent, se mettent en état de justifier toute impression jusqu'à la plus subtile. Ce point de vue conduit à quelques révisions paradoxales. Il faut oser dire qu'Anne Slacik, alors que tout chez elle est couleur, n'est pas un peintre de la couleur mais un peintre de la peinture. Ici la couleur n'est pas une sensation exclusivement visuelle. Elle est liée aux mouvements de la matière que le corps accompagne; elle émeut d'autres sens par la façon dont elle use des pigments comme d'aromates. D'une certaine façon, la couleur alimente la peinture. C'est sans doute ce que Cézanne lui aussi recherchait quand il parlait de substituer les sensations colorantes aux sensations colorées. En fait malgré les titres, "Venise" ou "Jardin blanc" ou n'importe quoi d'autre, la peinture d'Anne Slacik n'est pas figurative. Bien plus, elle ne peut l'être. Anne Slacik s'approche ainsi du réel bien plus près qu'en le décrivant car elle serait contrainte alors de s'éloigner pour le voir. Mais tous les tableaux ne produisent pas ces crues généreuses. Le "travail" d'Anne Slacik la met toujours en danger. Mais c'est aussi parce qu'elle s'engage tout entière que ses inquiétudes, ses souffrances, ses fragilités mais aussi ses hardiesses et ses élans fous peuvent se changer en lumière. Maurice Benhamou |
Bibliographie sélectiveLe nom de Tennyson Une ombre insoupçonnable Et cette pierre BouquinerieDéduits de la lumière, ed. Unes 1989. (12,00 €, acheter d'occasion : 8€) Litanies de la saison sèche, ed. Unes 1997. (11,50 € acheter d'occasion : 8€) L'arbre de notre folie, ed. Unes 1998. (10,50 € acheter d'occasion : 8€) Tension Superficielle, ed. Unes 1992. (11,40 € acheter d'occasion : 8€)
(Diffusion Art Point France) |