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Saturation des couleurs, jeu de lumières, articulations d'aplats et de frottis, Carole Benzaken a marqué la scène picturale des années 90 avec sa série des Tulipes. Elle puise ses sujets dans l'univers quotidien - bouteilles, nounours, footballeurs, funérailles de Lady Diana - à partir d'images télévisuelles, de photos de magazines ou de ses propres films. Sa peinture se tient au plus près des images en adoptant leurs codes : fondus, incrustations, zooms avant ou arrière. Les différents plans de vision obligent à déambuler devant la toile pour saisir tous les sujets. La multiplication des points de vue produit des tensions entre les images associées. L'artiste cherche à bousculer les habitudes avec un montage pictural qui rythme les surfaces. La puissance du regard, l'intuition d'une artiste en quête, montre un esprit en prise avec son temps qui entend agir en peintre sur l'image banale et populaire. Repères biographiques Née en 1964 à Grenoble, vit à Paris et Los Angeles. Expositions personnelles 2003 2002 2000 1999 1996 1995 1994 1993 1991 Expositions collectives (récentes) |
post/avant |
Texte
Carole Benzaken. "Parce que".
Carole Benzaken aime les images. Elle les collectionne, les thésaurise. Ce qu'elle veut produire avec ses toiles, ce ne sont pas d'autres images, c'est de la peinture. L'ensemble d'oeuvres exposées à saint-Restitut concerne quinze années de travail. Les pièces les plus anciennes appartiennent à la série des Diana's Funeral . Elles ont été réalisées à partir de photos « volées » à la télévision lors de la retransmission de l'événement. A l'acrylique sur grand format ou au pastel sur papier, elles sont animées de séquences qui suivent une courbe sinusoïdale. Elles créent une scène qui s'anime dans toute sa force dramatique comme cela pourrait l'être au cinéma .
La suite des « tulipes » qui fait écho à une très belle réalisation de vitraux dans l'église de Varenne Jarcy en région parisienne occupe ici la chambre du curé. La salle est petite et permet de s'attarder sur l'histoire de la rencontre de Carole Benzaken et de Joan Mitchell. Voici quelques années, la jeune artiste a obtenu une bourse pour séjourner six mois aux États-Unis. Elle y est restée sept ans. Un jour qu'elle se trouvait dans l' atelier de Joan Mitchell, la très grande dame de la peinture abstraite, une autre dame réclamait des explications sur le travail de Carole qu'elle percevait comme académique et conventionnel. « Montre-lui » lui propose Joann. Carole prend des pastels et dessine quelques tulipes. Joan prend à son tour les couleurs et dessine plusieurs lignes dans la partie haute de la feuille restée blanche. « Voilà ! » s'exclame-elle.
A côté de ce dessin à quatre mains, petite déclaration en faveur du langage pictural, se tiennent touche-touche deux huiles carrées de Carole Benzaken dédiées à Joan. Elles représentent aussi des tulipes. Mais bientôt on ne voit plus le sujet. On sent seulement les infimes vibrations qui oscillent imperceptibles entre les teintes. Une subtile augmentation de la couleur par une douce excitation. Et l'on renonce à comprendre, on reçoit ce moment de grâce comme un cadeau.
Si vous suivez Annie Delay, l'hôtesse de la Maison de la cure, elle vous conduira ensuite dans la plus grande salle consacrée aux dernières oeuvres de 2008/2009. (Lost)Paradise est une série inspirée d'un prospectus piétiné qui vantait en image une île paradisiaque. Ce lieu existe Carole l'a rencontré au Bénin. Mais elle sait aussi que c'est du port de Ouidah que partaient les esclaves africains. Il ne plane aucune ombre sur l'image idyllique de la plage bordée de palmiers. Pourtant la réalité de l'endroit n'est pas telle que nous la renvoie la première photo venue. Le peintre pour restituer l'âme d'un lieu qui contient aussi sa mémoire fait du « Villeglé à l'envers » . Elle ajoute un réseau de taches blanches sur la représentation colorée des sites paradisiaques. Trois petites vidéos silencieuses et poétiques montrent un homme qui marche sur le sable. Elles complètent avec bonheur la présentation.
Pour la poursuite de la visite, il faut sortir de la galerie et pénétrer dans les caves. On y voit des dessins en noir et blanc spécialement créés pour l'exposition : les trois "F", entendez les fleurs, les feuilles, les fruits. Ils appartiennent à une installation sur le thème de l'Ecclésiaste. La détermination de Carole Benzaken est grande. La jeune femme semble déclarer à ce stade de son parcours son refus de la futilité de toute action. Son art tend vers une éthique. Le beau n'est pas donné, il est à construire et est inséparable du bien.
Cette exposition s'inscrit dans le programme « Pourquoi Pas la Peinture ?» qui regroupe Lithos, le Château des Adhémars, Angle Art contemporain, la Galerie Eric Linard et Art 3 à Valence dans un parcours Drômois. Carole Benzaken y répond par un "Parce que" têtu et éloquent. Elle participe également à l'exposition présentée actuellement à Beaubourg « elles@pompidou», artistes femmes dans la collection du Centre Pompidou.
Catherine Plassart