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Farid Belkahia, né le 15 novembre 1934 à Marrakech. Vit et travaille à Marrakech. Il est impossible aujourd'hui d'évoquer la peinture contemporaine au Maroc sans se référer à Belkahia, dont l'oeuvre est devenu l'un des repères essentiels des arts plastiques maghrébins. 1955-1959 : Ecole des Beaux-Arts Paris 1959-1962 : Institut de théâtre à Prague 1965 1966 : Academia Brera, à Milan. 1962-1974 : Belkahia dirige l'Ecole des Beaux-Arts de Casablanca. |
Rencontre avec Farid Belkahia
Après être passé par les Beaux-Arts de Paris, l'Institut de théâtre et de scénographie de Prague et l'Académie Brera de Milan, vous revenez au Maroc au début des années 60 pour diriger l'Ecole des Beaux-Arts de Casablanca, jusqu'en 1973. Depuis lors, vous vous consacrez entièrement à votre travail de peintre...
- Oui, et je suis l'homme le plus heureux de la terre d'être devenu indépendant. Non que l'époque des Beaux-Arts de Casablanca ait été négative : j'ai côtoyé toute une génération de peintres qui ont grandi au milieu de l'équipe de ce temps-là, Melehi, Chebaâ, Hamidi... Mais un moment vient où l'on a envie d'autre chose que d'être confronté sans cesse aux mêmes difficultés : manque d'argent, manque d'espace, niveau insuffisant des élèves...
Les choses ont-elles, de ce point de vue, tellement changé depuis lors ?
- Ce que je pourrais dire à ce sujet serait nécessairement critique. Il revient à d'autres de mesurer ce qui s'est fait autrefois, et ce qui se fait maintenant.
Thèmes, formes, matières se sont constamment renouvelés dans votre peinture. Comment, pourquoi ces remises en question successives ?
- Je n'ai jamais peint sur toile ; j'ai travaillé sur papier, à l'huile, jusqu'en 63-64. Puis le métal, exclusivement, pendant une dizaine d'années. Depuis 74, je ne peins que sur peau, avec des colorants naturels... Les thèmes que j'ai traités se sont également renouvelés. Quand j'ai commencé à peindre, en 53, 54, le Maroc était sous protectorat ; l'époque était à la révolte. Ma peinture était à fleur de peau. Une peinture triste. A Paris, j'ai beaucoup travaillé sur le visage ; à Prague, au moment de la guerre d'Algérie, j'ai évoqué la torture et la guerre. Je vivais alors, sans être communiste, et encore moins anti-communiste, dans un pays dit socialiste. Cette expérience m'a permis de comprendre que la politique devrait être une philosophie évoluant avec l'homme... Mais, partout, elle n'évolue que très lentement. De là naissent tous les drames. Partout, l'homme reste figé dans des comportements rétrogrades. L'esprit va de l'avant, mais l'homme ne suit pas. Par manque de courage, ou de moyens ? J'ai appris, au lieu de m'engager dans un parti, quel qu'il soit, à être clairvoyant et réaliste. Tour à tour on a vu en moi un anarchiste, un ami des bourgeois, un communiste... Je suis en fait totalement indépendant, et totalement à l'écoute. Je reste disponible.
L'humain est donc resté au centre de votre travail...
- En effet. Les solutions que je trouve naissent de mon travail. C'est à travers la pratique que tout se décide. Je ne concrétise jamais une idée abstraite ; c'est le concret qui me mène vers l'abstrait. La sensation du toucher m'est aussi nécessaire que le regard pour accomplir - pour m'accomplir. Les cassures qui se sont produites dans mon travail n'ont pas été faciles à assumer - ne serait-ce que sur le plan de la survie. Quand je peignais à l'huile, ma peinture se vendait assez bien ; lorsque j'ai commencé à travailler le cuivre, je suis resté sept ans sans rien vendre... A ceux qui me disaient "Quel dommage, c'était tellement bien votre peinture à l'huile...", je ne répondais pas ; je continuais. Quand le cuivre a commencé à se vendre, j'ai arrêté. La recherche doit toujours aller de l'avant ; il faut que se crée continuellement, entre ce que je fais et moi, une aventure. J'ai besoin, non pas d'un rapport conflictuel, mais d'un rapport passionnel avec mon travail. Cette passion, je l'éprouve encore avec la peau. Je m'implique physiquement; je découpe le bois, je fais les moulages... Ce qui m'importe, c'est d'avoir un contact sensuel avec le matériau que je travaille, et le désir et l'aventure que je crée avec lui.
Avec la peinture à l'huile, il n'y a pas d'aventure pour moi. 90% des peintres du monde entier l'utilisent. Le henné, la peau, ce sont mes souvenirs, ma grand-mère, le milieu dans lequel j'ai grandi, les odeurs que je connais. Mon travail est ancré dans une réalité... - mais pas de façon primaire. Je réfléchis en contemporain à ce qui concerne le siècle dans lequel je vis. Mon travail est une façon moderne de retoucher des éléments que l'on est peut-être en train d'oublier, d'occulter. Je n'ai pas de frontière, ni cette volonté de m'ancrer pour me donner une identité.
Rajae Benchemsi, votre épouse, écrit des textes que votre peinture rencontre. Comment le geste du peintre accompagne-t-il la parole du poète ?
- Rajae et moi avons un projet d'exposition ensemble ; il existe une attraction mutuelle entre l'art et la poésie. Mais un dessin ne naît pas d'un poème, ni l'inverse ; il faut laisser à l'image sa liberté.
Propos recueillis par A. G. à Marrakech, mars 1995
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Publications
La mise à feu de la bibliothèque de Bagdad,
texte de Etel Adnan peints par Farid Belkahia
Matière,
texte de S. Stétié
peintures de Farid Belkahia éditions Al Manar
Marrakech, lumière sur lumière,
texte de N. de Pontcharra
gouache de Farid Belkahia
Ayn,
texte de J.-Cl. Lambert
une peinture sur peau
et une gravure de Belkahia
