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Jaume Plensa est né à Barcelone en 1955. Il s'est rendu célèbre, dans le début des années 80, par de grandes formes simples en fonte de fer. Puis son ouvre a évolué vers des installations sculpturales utilisant la lumière, le son et le langage. En 1997, la Galerie Nationale du Jeu de Paume a présenté une rétrospective. Depuis, il s'est signalé par de grandes expositions dans les musées de Hanovre (Kestner Gesellschaft) en 1999 et Madrid (Reina Sofia) en 2000. Une monographie sur l'ensemble de son ouvre vient de paraître en anglais et en espagnol aux éditions Polígrafa. Pour sa première exposition à la galerie Lelong, il a choisi un ensemble d'ouvres suspendues en forme de rideaux faits de lettres métalliques assemblées verticalement qui reconstituent des poèmes empruntés à ses auteurs préférés : Baudelaire, William Blake, Goethe, Allen Ginsberg, Dante, Shakespeare, William Carlos Williams, qui tous traitent du thème de l'Enfer et de la figure de Satan sous ses noms divers. Crystal Rain est un parallélépipède de lumière formé de centaines de boules de cristal. Jaume Plensa vient de signer les costumes et décors pour la Flûte Enchantée , une coproduction du Jahrhunderthalle (Bochum) et de l'Opéra Bastille (Paris), sous la direction de Marc Minkowski. Il réalise actuellement un immense projet de fontaine publique dans le Millenium Park à Chicago, The Crown Fountain , qui sera inauguré en 2004. Plensa est un formidable inventeur de formes, doué d'un sens aigu des matériaux. Il sculpte aussi bien la lumière, les mots, les sons que le bronze ou la pierre. |
voir aussi :
le site de la galerie Lelong
post/avant |
"Il faut produire du silence"
entretien de Jaume Plensa avec Henri-François Debailleux
H.-F. D. :
A l'exemple de votre récente exposition à la galerie Lelong, vous travaillez très souvent avec des lettres.
J.P. : Cela vient de loin : dans ma famille on a toujours été plus entouré par les livres que par les images. En conséquence le texte est pour moi quelque chose de naturel. Les lettres, les mots sont donc devenus mon matériau. Il y a des artistes qui travaillent avec du bois, avec du fer, ce qui peut m'arriver également, mais j'aime avant tout travailler avec l'écrit, comme une matière qui fait partie de ma mémoire. J'y trouve par ailleurs un aspect presque organique : l'association des lettres comme les cellules du corps, peut former des mots donc des organismes plus complexes ; les mots entre eux peuvent former un texte qui avec d'autres peut écrire une culture. c'est un peu comme la pierre de la création : au départ, il y a la pierre, ensuite il y a la ville autour, puis c'est l'état, le pays, le continent, le monde, l'univers. Telles ds briques les lettres ont une potentialité de construction, elles nous permettent de construire une pensée
....
H.-F. D. : Faut-il lire vos sculptures comme on lit une page ?
J. P. : Non, car elles ne sont jamais une page de livre justement, ni l'illustration d'un texte. Si j'utilise les lettres ce n'est pas avec la volonté de passer un message, c'est plutôt la revendication d'une matièrecomme une sorte de magma de la création. C'est aussi l'envie de partager cette matière avec le spectateur, au même titre que lorsque je fais un catalogue sur mon travail. J'aime effectivement partager cette publication avec un écrivain, avec quelqu'un qui se retrouve là ponctuellement dans le même espace que moi. et qui ,au fond, parle de la même chose alors qu'on pense que chacun parle de choses différentes.
H.-F. D. :Vous évoquez l'importance du texte comme matériau, mais de façon plus générale vous avez toujours accordé une priorité à la matière
J. P. : ... Cet intérêt vient de ce que la matière est en relation avec le corps. Malgré toutes les idées géniales que l'on peut avoir dans la vie, il y a toujours un moment où le corps, la matière gagne. C'est à dire qu'on va mourir. Alors avec cette matière que l'on peut penser en contradiction avec l'esprit, il y a une sorte de combat pendant toute la vie... En plus j'ai toujours trouvé assez beau et fascinant le côté éphémère de la matière
...
H.-F. D. : Vos sculptures sollicitent physiquement le spectateur
J. P. : J'ai toujours entendu la sculpture comme cela. Ce n'est pas un travail de voyeurisme, il faut pouvoir la partager, marcher autour, passer au travers, la pénétrer. C'est une nécessité. La sculpture est en fait un prétexte pour provoquer un mouvement, intérieur, certes, mais aussi physique et ce dans différentes directions que l'on ne peut maîtriser... Depuis quelques années, je prends plaisir à travailler régulièrement sur des scénographies pour l'opéra. D'une part parce qu'il y a une relation à l'autre, aux autres que je ne trouve pas nécessairement dans l'atelier. Et d'autre part parce que j'aime beaucoup les rapports qui se créent avec le son et le mouvement, ce mélange merveilleux de voix, de musique et de corps. Il y a là de merveilleux échanges d'énergie qui m'ouvrent de nouveaux territoires et me donnent de nombreuses informations que je peux ensuite expérimenter en sculpture. Il me font l'effet d'un laboratoire d'expérimentaion de l'espace.
H.-F. D. : Justement comment prenez-vous en compte l'espace ?
J. P. : ... cet espace est fondamental, il est comme le silence. On vit actuellement dans un contexte d'une telle perturbation dans les idées qu'il faut produire du silence, comme il faut créer de l'espace vide. Et je crois que c'est une énorme aventure de faire cela aujourd'hui.
extrait de l'entretien de Jaume Plensa avec Henri-François Debailleux, (Art Absolument hiver 2006-2007) publié dans Art Point France Info le 20/12/2006